vendredi 1 août 2014

MR. SMITH GOES TO WASHINGTON - Monsieur Smith au Sénat


Réalisation : Frank Capra
Scénario : Sidney Buchman d'après le roman de Lewis R. Foster
Producteur : Frank Capra
Société de production : Columbia Pictures
Musique : Dimitri Tiomkin
Genre : Comédie dramatique ; politique
Durée : 129 minutes
Date de sortie : 17 octobre 1939 (USA)
Casting :
 James Stewart : Jefferson Smith.
Jean Arthur : Clarissa Saunders.
Claude Rains : le sénateur Joseph Harrison Paine.
Edward Arnold : Jim Taylor.
Guy Kibbee : le gouverneur Hopper.
Thomas Mitchell : Diz Moore.
Astrid Allwyn : Susan Paine.


L’HISTOIRE

A la mort inopinée d’un vieux sénateur, Jefferson Smith, un jeune homme naïf et idéaliste, est choisi comme remplaçant, sous le patronage du sénateur Paine, par des politiciens qui pensent pouvoir le manipuler à leur guise. Smith dépose un projet de loi de création d’un camp de vacances pour jeunes garçons, ignorant que Paine manœuvre en sous-main pour la construction d’un barrage au même endroit. Victime d’une cabale et devenu la risée du Sénat, Smith va devoir se battre pour ses idéaux, grâce à l’aide de sa secrétaire rompue aux joutes politiques.


L’AVIS DE FU MANCHU

Dans la filmographie de Frank Capra, Mr. Smith Goes To Washington s’insère, après  Mr. Deeds Goes To Town (1936) et avant Meet John Doe (1941), dans ce que l’on appelle la « trilogie de l’homme ordinaire ». L’histoire se base pour ces trois films sur une trame similaire : un homme simple, naïf et généreux – en bref, un homme fondamentalement bon – se retrouve confronté aux manipulations des puissants (hommes d’affaires ou politiques, sans oublier le pouvoir de persuasion de la presse). Se retrouvant seul contre tous, il doit se battre pour faire valoir ses idéaux. Ce sont donc des films à message, portant une morale, une caractéristique chez Capra, qui entend ainsi dénoncer les problèmes de l’Amérique de son temps et montrer, à la fois que tout n’est pas parfait, mais que l’idéal énoncé est encore atteignable.

Mr. Smith Goes To Washington est le deuxième de cette « trilogie », et alors que Mr Deeds Goes To Town était une vraie comédie, celui-ci est beaucoup plus sombre : on entre dans le domaine de la politique, le ton se fait plus sérieux, plus grave. Ici on ne parle pas d’héritage d’argent, mais de l’héritage d’une responsabilité politique vis-à-vis du peuple américain. Le ton est d’ailleurs beaucoup plus solennel, avec une utilisation de musiques patriotiques à des moments clés… Ok, on est chez Capra donc c’est normal, me direz-vous (un film de Capra est reconnaissable entre mille par ses Capra Moments, vous allez voir). Certes, mais ici ça a encore plus valeur de symbole, puisque l’on parle de la préservation des idéaux américains – et même plus encore, des idéaux de nos démocraties occidentales (nous sommes en 1939, et le film sera d’ailleurs interdit en Allemagne, en Italie, en Espagne et en URSS. Oui, toutes des dictatures…).

Passée cette introduction, il est temps d'aborder le film en lui même, et de vous expliquer pourquoi Mr Smith Goes To Washington fait partie, à mon sens, des tous meilleurs films de cette époque... 


Points forts

Mr. Smith Goes To Washington a, côté distribution, tout pour plaire. Capra voulait, après Mr Deeds, retrouver son couple d’acteurs vedettes, Gary Cooper et Jean Arthur. Le premier étant indisponible, il a été remplacé par James Stewart, Jean Arthur « conservant » son rôle. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça marche : James Stewart est absolument parfait dans son rôle de jeune provincial découvrant la capitale, idéaliste et naïf, mais terriblement attachant. Le personnage de Jefferson Smith, c’est un peu un homme qui découvre le monde avec un regard d’enfant émerveillé, en témoigne cette scène très capraenne où il visite le Lincoln Memorial.  Mais il est doublé d’un caractère enthousiaste, prêt à travailler d’arrache-pied pour atteindre ses objectifs, et qui annonce déjà une ténacité hors du commun, dont il aura bien besoin pour faire face au mépris des sénateurs.

Face à lui, Jean Arthur est dans son élément, celui d’une working girl travailleuse et talentueuse mais « blasée » par le monde qui l’entoure. Avec elle, ce n’est pas une typique intrigue secondaire romantique que l’on va avoir, mais un vrai rôle de premier plan – encore qu'en tant que femme de l'ombre. Le personnage de Clarissa Saunders (« Saunders » pour les intimes), c’est le complément parfait de Jefferson Smith : le talent face à l’enthousiasme, l’intelligence face à la naïveté, l’expérience face à l’idéalisme. C’est « l’adjuvant » idéal pour le héros Stewart, l’écuyer indispensable à son chevalier : en somme, Jefferson Smith n’est rien sans Saunders, car c’est elle qui « sait » comment marche le monde du Sénat.
Je trouve une vraie alchimie dans la relation entre les deux personnages, et la manière dont l'opinion de Saunders sur Smith évolue est assez touchante, au cours d’une très belle scène. Alors qu'ils sont enfermés depuis des heures pour travailler sur le projet de loi et qu'elle le regarde exprimer ses idées avec une passion presque innocente, on la voit changer, au fil des minutes, d’appréciation à son égard : de nonchalante et peu impliquée elle devient intéressée, puis émue et admirative : elle qui en sait tellement plus que lui, sent que lui aussi a à lui apprendre (« I lived in a tunnel »...).
Jean Arthur était une très grande actrice, que j’apprécie beaucoup pour ce qu’elle apporte au cinéma et au jeu d’acteur : oui, c’est une vraie leading lady, très crédible dans son type de rôles et qui sait allier sérieux et rire à la fois (c’est l’une des « reines » de la screwball comedy), tout en faisant montre d’un certain charme, peut-être dû à sa voix si particulière – une voix de canard, si l’on en croit les spécialistes… Je ne peux d’ailleurs que vous conseiller de la voir en VO.

Les acteurs secondaires sont tous excellents : le sénateur Paine (Claude Rains), très intelligemment construit, écartelé entre son passé idéaliste et ses allégeances présentes l’obligeant à « écraser » Smith et à le calomnier sans pitié. Le machiavélique et sans scrupules Jim Taylor (Edward Arnold), qui tire les ficelles à son profit, en « méchant » que rien ne semble vouloir arrêter. Ou encore le journaliste Diz Moore (Thomas Mitchell), représentant le pouvoir de la presse, d’abord nonchalant et blasé, puis moqueur, et enfin conquis par la personnalité de Smith – la relation d’amitié entre Saunders et Diz est intéressante car leurs dialogues permettent de rendre compte de l’évolution de l’appréciation qu’ils portent à Smith.

Niveau scénario, on a droit à une montée en puissance en plusieurs actes, qui culmine en intensité avec le discours de Jefferson Smith au Sénat. Les relations entre les personnages sont très bien traitées et montrent l’évolution progressive de Smith : d’abord, il sera traité comme le parvenu qu’il est réellement, ses aspirations confrontées à la réalité, ses espérances formant un « paradis perdu ». C’est là que le personnage de Saunders a le plus de sens : dans son monde de « Boys Rangers » - l’association de scouts qu’il dirige -, il est le « maître » d’un environnement idéalisé, où les valeurs de l’Amérique démocratique sont portées aux nues et où « tout est bien ». Le monde politique, lui, n’est que compromis, corruption et arrangements en faveur des puissants, et Saunders est là pour faire comprendre à Smith que le « monde réel » n’est pas cet idéal où il vivait, et qu’il va devoir se battre pour se faire entendre.
Et c’est là que réside la force du film : Smith, tout naïf qu’il soit, malgré ses désillusions, bien épaulé par Saunders, va décider de se battre et de relever la tête pour donner corps à ses idéaux de justice, de liberté et de démocratie… C’est l’intensité qui est donnée à ce combat qui est belle parce que, oui, ce ne sera pas un combat facile. Mais c’est cela qui rend ce film beau et puissant, et c’est pour cela qu’il ne doit pas être oublié…



Points faibles

Ok, après avoir dit tout ça, il va m’être difficile de trouver quelques défauts à ce film… Or finalement, c’est à voir selon les points de vue et les affinités de chacun. On peut ne pas aimer Capra parce que oui, c’est quand même très moralisateur, très américano-centré - encore que le film a été très critiqué à l’époque et accusé d’être anti-patriotique, ce qui d’un point de vue français, semble aujourd’hui assez ridicule. Avant d’être patriotique, le film est surtout pro-démocratie, mais la démocratie américaine, sur les fondements américains. Et ça, ça peut agacer, par exemple lors de la scène au Lincoln Memorial, un peu trop pompeuse (Capra Moment : check !), ou avec l’utilisation de musiques « traditionnelles » / hymnes patriotiques pour les génériques de début et de fin (gros Capra Moment là aussi : re-check !).
On pourrait aussi reprocher au scénario de trop diaboliser les politiques, décrits comme paresseux, corrompus, sourds aux aspirations de leurs électeurs et ne pensant qu’à leurs intérêts personnels. C’est assez vrai, mais le film veut avant tout montrer que l’immobilisme politique peut être « secoué » et surmonté par la volonté d’un seul homme, un leader plein d’idéaux qui émergerait pour les guider. Smith est là pour leur montrer que s’ils veulent changer les choses, rien n’est impossible (on se croirait dans une pub d’Adidas, mais c’est l’idée).


Conclusion

Au final, Mr. Smith Goes To Washington recèle en lui quelque chose de spécial, ce petit plus qui justifie la note que je vais lui donner, et qui fait qu'à la fin du film, j'ai vraiment ressenti une émotion particulière, qui lui donne une place à part dans mon estime. En fait, il m'a semblé monter en puissance tout du long pour finir en apothéose (encore que la toute fin soit un poil abrupte), et le sujet abordé, plus grave, nous touche et fait appel à nos convictions les plus profondes : parce qu'au fond, nous sommes tous des Jefferson Smith... Il est en plus servi par deux acteurs que j'apprécie énormément, James Stewart et Jean Arthur, qui auraient pu, à mon sens, mériter un Oscar. Manque de bol, on était en 1939 et cette année-là est sorti un certain film avec une certaine Scarlett dans une certaine contrée du Sud des Etats-Unis… Il n’empêche, les deux acteurs m’ont fait forte impression, notamment James Stewart que l’on sent vraiment impliqué dans son rôle – pour Jean Arthur, c’est plus une habitude, mais j’aurais certainement l’occasion d’en reparler sur ce blog…


NOTE : 9,5/10




1 commentaire:

  1. Tu as longtemps insisté pour que je voie ce film et j'ai fini par comprendre, malgré ma réticence à voir un film de Capra. J'avais moyennement aimé les deux autres films de sa trilogie anti-corruption (Mr Goes to Town est pas mal, mais pas très drôle pour une "screwball", et Meet John Doe, qui bénéficie pourtant d'une très bonne Barbara Stanwyck, m'a vraiment déçu sur son scénario). Mais ici, malgré les moments "capraiens" que tu as relevés, j'ai beaucoup aimé : la plongée dans l'arène politique impitoyable, qui me semble réaliste, un James Stewart vraiment exceptionnel et bien plus crédible qu'un Gary Cooper (qui m'énerve un peu en tant qu'"homme ordinaire"), une Jean Arthur dont le personnage évolue subtilement, et une intensité dramatique qui tient en haleine.

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