dimanche 30 novembre 2014

TOP 5 : ELEANOR PARKER


Après Lauren Bacall en août, c’est au tour d’Eleanor Parker (1922 – 2013), l’actrice « aux mille visages [1] », de se voir consacrer sur ce blog une rétrospective de ses meilleures prestations. Ayant à son actif des rôles dans une large panoplie de films, du mélodrame à la comédie musicale en passant par le western, le film d'aventure ou de cape et d'épée, elle était capable de jouer aussi bien une jeune fille timide et effrayée qu'une femme forte et dominatrice. 


N°5 : MARY MCLEOD dans Detective Story



Un film de William Wyler (1951), avec Eleanor Parker, Kirk Douglas, William Bendix et Cathy O’Donnell.

Son histoire : Alors que son époux, le détective Jim McLeod, s’acharne contre un médecin avorteur, la candide Mary lui cache qu’elle-même a subi un avortement…

Si Kirk Douglas donne toute sa matière à Detective Story, tant son personnage domine par sa psychologie manichéenne et sa violence contenue, Eleanor Parker l’enrichit en campant son épouse douce et fragile. Cette relation d’antagonistes est le pivot du film : ce huis-clos d’une journée fait transparaître l’histoire commune du couple en mettant les deux acteurs face à face.

Eleanor excelle dans ce type de rôle, qui se rapproche d’une « demoiselle en détresse » et valorise sa force émotionnelle, une de ses marques de fabrique. Je regrette cependant qu’elle ne tienne pas plus de place dans l’intrigue : même si elle a été nommée pour l’Oscar de la meilleure actrice, c’est clairement un (bon) second rôle.


N°4 : RUTH HARTLEY dans Pride of the Marines

Un film de Delmer Daves (1945), avec Eleanor Parker et John Garfield.

Son histoire : Lors de la bataille de Guadalcanal, le marine Al Schmid est blessé et aveuglé. Par orgueil, il refuse de revenir dans sa ville natale où l’attendent sa famille et sa fiancée, Ruth…

Comme dans Detective Story, le récit se concentre sur un protagoniste masculin, Al Schmid, interprété par John Garfield. Ayant pour objet l’impact de la guerre sur la vie des soldats rescapés, Pride of the Marines narre avec brio le tournant que constitue pour le héros son aveuglement, dû à l’explosion d’une grenade.

Proche par son contexte de The Best Years of Our Lives, ce film, qui lui est antérieur, va plus loin dans son approche du soldat infirme. Là où le personnage du manchot et sa relation avec sa fiancée ne sont abordés qu’en surface dans le film de Wyler, Pride of the Marines  explore les doutes existentiels d’un homme touché dans sa fierté : la blessure de Schmid est à la fois physique (son aveuglement change sa façon de percevoir le monde) et psychologique (désorienté, il se sent inutile et craint plus que tout d’être un poids pour les siens).

Dans ce beau film, basé sur la vie du « vrai » Al Schmid, le personnage d’Eleanor, Ruth Hartley, est particulièrement touchant. Eleanor compose une femme à la fois douce et déterminée, ce qui la rend plus passionnante que la Mary McLeod de Detective Story. Symbole de la force du personnage, cette scène absolument sublime où, sur un plan large d’un hall de gare, la jeune femme devance de quelques pas son fiancé qui, guidé par un frère d’armes, la suit sans le savoir…


N°3 : MARIE ALLEN dans Caged



Un film de John Cromwell (1950), avec Eleanor Parker et Agnes Moorehead.

Son histoire : Complice de son époux dans un vol à main armée qui a mal tourné, la jeune Marie Allen est incarcérée dans une prison pour femmes. Veuve, enceinte et d’un naturel innocent, elle est confrontée à la cruauté des gardiennes et des autres prisonnières…

Film éprouvant mais de grande qualité, Caged semble proposer un rôle à contre-emploi à l’interprète de Mary McLeod et Ruth Hartley. On imagine mal une jeune femme au regard doux et à la voix timide figurer dans une prison aux côtés de femmes dures et à la forte carrure. C’est pourtant le pari que réussit Eleanor.

Sa Marie Allen est d’abord d’une candeur à faire fondre n’importe quel glacier des Alpes. Le contraste avec les vicissitudes d’une vie carcérale est saisissant. Mais si le film nous montre cette innocence non feinte, c’est justement pour mieux retranscrire l’évolution du personnage de Marie : dès son entrée dans cette prison quasi-vivante et videuse d’âme, son destin est tracé.

Eleanor, dont l’atout est de parvenir à saisir l’émotion juste, montre ici qu’elle sait composer à la perfection des femmes torturées, dans un rôle dramatique qu’une Bette Davis ne renierait pas. Ou presque : elle l’a décliné...


N°2 : ELIZABETH RICHMOND dans Lizzie


Un film de Hugo Haas (1957), avec Eleanor Parker, Richard Boone et Joan Blondell.

Son histoire : Atteinte de fréquents maux de tête et insomniaque, Elizabeth reçoit des lettres de menaces d’une certaine Lizzie. Le psychiatre qui lui vient en aide découvre qu’elle possède trois personnalités séparées : Elizabeth, l’introvertie, Lizzie, la dévergondée, et Beth, la bienveillante…

Lizzie. Pas Lizzie Bennet. Non. Lizzie tout court. Dans ce thriller psychologique, Eleanor renoue avec le jeu d’actrice complexe de Caged. Mais en 1957, l’actrice a grandi, et avec elle son talent. Car ce n’est pas une, mais trois Eleanor que nous avons devant nous avec Lizzie.

J’ai vu ce film il y a peu, après l’avoir longtemps cherché, et je n’ai pas été déçu de l’attente. Plutôt que d’explorer l’ensemble des possibilités liées à la détention de plusieurs personnalités, le film se concentre (à juste titre) sur un seul aspect : la description du comportement pathologique d’Elizabeth. Il repose donc entièrement sur la performance de son actrice principale.

Et ça marche, le mérite en revenant à une Eleanor brillante : le passage d’une facette à l’autre lui permet de livrer une palette variée et nuancée d’expressions et de tonalités antagonistes. Je retiens par exemple cette scène où Elizabeth se lève, va couper la musique d’ambiance avant de se poster devant une fenêtre ; mais quand elle se retourne, c’est à une Lizzie au sourire dément que le spectateur fait face…


N°1 : MARJORIE LAWRENCE dans Interrupted Melody


Un film de Curtis Bernhardt (1955), avec Eleanor Parker et Glenn Ford.

Son histoire : Depuis son Australie natale jusqu’en Europe et en Amérique, Marjorie, une jeune cantatrice australienne, grimpe une à une les marches qui la mènent à la célébrité. Mais lorsqu’elle est atteinte de la polio, sa carrière est subitement brisée…

C’est peu dire que je ne suis pas un amateur d’opéra. Quant aux comédies musicales, je n’apprécie que celles qui ne se reposent pas entièrement sur la qualité de leurs passages dansés et/ou chantés. Et pourtant…

C’est dans Interrupted Melody, basé sur la vie de la soprano Marjorie Lawrence, qu’Eleanor Parker m’a le plus ébloui. Pourquoi ? Tout simplement parce que c’est dans ce film précisément que l’actrice développe le plus la multiplicité de facettes qui fait son succès. Si dans Lizzie, elle joue plusieurs personnages en un, Interrupted Melody lui permet de varier son jeu de manière encore plus subtile, grâce à un scénario en deux parties bien distinctes, et bien aidée par la diversité bariolée des costumes d'opéra, qui la transforment physiquement d'une scène à l'autre.

La vie fournie de la chanteuse d’opéra est source d’inspiration pour  le talent d’Eleanor, qui en explore les différentes phases : la jeunesse débordante de vie, pour laquelle elle rejoue une ingénue, en tempérant sa candeur par un certain enthousiasme ; la femme séduisante et amoureuse, au caractère bien trempé, proche de son personnage un peu « frippon » dans Scaramouche, un film de cape et d’épée ; et surtout la femme à la carrière brisée. 

Ce dernier aspect de son jeu est le plus marquant, tant elle arrive à dégager de la force dans sa faiblesse : loin du ton timide d’une Mary McLeod, sa voix exprime alors rage et frustration, et l’on découvre alors tout le charisme dont cette actrice est capable. Ce charisme est présent également dans les nombreuses scènes d'opéra, où Eleanor, bien que doublée, parait très crédible dans sa façon de chanter.

Si Pride of the Marines et Lizzie sont ses films qui me parlent le plus, la prestation la plus réussie d’Eleanor Parker est donc sa Marjorie Lawrence d’Interrupted Melody.


[1] D’après le titre de sa biographie, Eleanor Parker: Woman of a Thousand Faces (D. McClelland)


dimanche 23 novembre 2014

HOLIDAY - Vacances



Réalisation : George Cukor
Société de production : Columbia Pictures
Genre : Screwball comedy
Durée : 95 min
Date de sortie : 15 juin 1938 (USA)
Casting :
Katharine Hepburn : Linda Seton
Cary Grant : Johnny Case
Doris Nolan : Julia Seton
Lew Ayres : Ned Seton
Henry Kolker : Edward Seton
Edward Everett Horton : Professeur Nick Potter
Jean Dixon : Susan Potter




L’HISTOIRE

Après avoir rencontré lors de vacances à la montagne la riche Julia Seton, Johnny Case, jeune homme brillant issu d’un milieu modeste, est présenté à sa famille. Si son désir d’évasion et son manque d’ambition se heurtent au scepticisme du père, un banquier fortuné, ils rencontrent un fort écho auprès du frère alcoolique, Ned, et de la sœur cadette, l’excentrique Linda.


L’AVIS DE GENERAL YEN

Attention, coup de cœur ! Naviguant entre deux eaux, Holiday allie à la pureté comique des grandes screwball comedies les ingrédients d’une subtile romance, le tout donnant un film enthousiasmant. Bâti sur une réflexion autour du conformisme et de la liberté de choix des individus dans un monde où le succès professionnel passe avant l’épanouissement personnel, Holiday bénéficie d’une solide trame narrative, sur laquelle vient se superposer un humour finement ciselé.

Johnny et Julia se sont rencontrés avant même la scène d’ouverture, pendant leurs vacances, et donc, comme hors du temps. Le temps du film correspond à leur retour sur terre : le conte de fées est terminé, ils doivent maintenant apprendre à se connaître dans le monde « réel », celui où l’effet égalisateur des vacances au ski s’estompe et où leur altérité leur apparait au grand jour.

Holiday réunit deux des plus grands acteurs du Golden Age : Cary Grant et Katharine Hepburn. Plus que dans Bringing Up Baby et The Phildelphia Story, pourtant plus célèbres, ils dégagent une réelle alchimie en campant deux personnages que leur originalité rend tout à la fois touchants et attachants.

"Retire young, work old, come back and work when I know what I'm working for, does that make any sense ?"

Valeur sûre de la screwball comedy, Cary Grant répète une nouvelle fois un rôle à succès, dans la veine du Jerry Warriner de The Awful Truth, et qui porte le message du film. La force de Cary Grant est de distiller son comique de geste non seulement dans les scènes les plus propices au rire (des scènes de joie, ou la découverte d’un lieu surprenant par exemple), mais également dans des situations sérieuses (disputes, tristesse de son interlocutrice), ce qui crée un contraste cocasse particulièrement jouissif.


Katharine Hepburn, star fétiche du réalisateur George Cukor (Little Women, The Philadelphia Story, Adam's Rib), fait de son interprétation de Linda Seton un des sommets de sa longue carrière. Si Alice Adams est mon rôle préféré de l’actrice, sa prestation dans Holiday est la plus impressionnante et la plus aboutie.

Personnage haut en couleur, Linda est une jeune femme en conflit avec sa famille, sans pourtant la renier : elle adore sa sœur, mais supporte mal la froide ambition de son père. Se définissant comme le « mouton noir » de la famille, elle rêve d’évasion en se retranchant dans son « refuge », une pièce aménagée par une mère trop tôt disparue. Ce havre de paix est un petit foyer d’humanité au cœur d’une demeure au luxe démesuré (magnificence et gigantisme) et inutile (l’usage de l’ascenseur pour monter au premier étage). Chambre « cosy » fournie en livres et en fauteuils moelleux, réchauffée par un feu brûlant dans l’âtre de pierres, le refuge est à l’image de l’âme et des désirs de Linda.















"I never could decide whether I wanted to be Joan of Arc, Florence Nightingale, or John L. Lewis."

"Looks like me ?"
Ce que j’aime dans ce rôle, c’est la façon qu’à Kate Hepburn d’exprimer l’émotion toute dramatique de Linda sans gâcher un immense potentiel comique, ce qui fait son charme. De sa voix un peu nasillarde, quoiqu’elle n’atteigne pas l’effet produit par la « voix de canard » de Jean Arthur (Mr. Smith Goes to Washington), elle lance au spectateur toute sa fragilité, son mal-être, son désir d’altérité. Et malgré une certaine grandiloquence qui trahit la comédienne qui a foulé les planches de Broadway, sa performance laisse une trace indélébile, qui bénéficie au film tout entier.

Autour de ces deux stars, on trouve de très solides rôles secondaires qui enrichissent le film. Si Doris Nolan, qui joue Julia Seton, est un peu écrasée par le charisme des premiers cités, je décerne une mention spéciale à Lew Ayres, dont le rôle du frère victime des exigences paternelles est plus profond qu’il n’y parait (ses répliques sont parmi les plus fines), et surtout à Edward Everett Horton et Jean Dixon, qui forment le couple d’amis de Johnny, Mr. et Mrs. Potter. Totalement déjantés, ils incarnent ironiquement le bon sens et la raison, qu’ils dispensent à grands coups d’efforts comiques, comme lors de leur petit spectacle de marionnettes…




Conclusion

Holiday est le film de Katharine Hepburn que je cherchais tant. On a beau la présenter comme la plus grande actrice d’Hollywood, ses (bons) films n’arrivaient pas jusqu’alors à me transcender, malgré de superbes performances (Alice, tu n’y es pour rien). J’ai beaucoup apprécié Stage Door (avec Ginger Rogers) et Woman of the Year (avec Spencer Tracy), mais il me manquait le petit frisson supplémentaire, que m’apporte Holiday.

NOTE : 9/10





vendredi 7 novembre 2014

Les Petites Perles du Général Yen


S’en revenant d’un voyage au cœur des années 30, le Général Yen rapporte dans sa besace quelques jolies œuvres sauvées des eaux. Films souvent oubliés, mais pas sans qualités, ces « petites perles » trouvent leur juste place dans ce blog, au côté de nos films préférés.


TRADE WINDS – La Femme aux cigarettes blondes

Film de 1938, réalisé par Tay Garnett, avec Joan Bennett et Fredric March.

L’histoire : un détective privé fanfaron et coureur de jupons suit la piste semée de « cigarettes blondes » d’une femme accusée de meurtre.

Longue et belle croisière à travers le Pacifique, Trade Winds possède ce petit quelque chose en plus des « films de voyage » de l’avant-guerre. Comme un film que j’apprécie beaucoup, One Way Passage, avec Kay Francis et William Powell, il joue avec un charme exotique désuet qui rend son ambiance tout à fait irrésistible.

Comédie basée sur un scénario de drame – le meurtre d’un millionnaire et ses conséquences, le film joue habilement de cette tension entre le comique perçu par le spectateur et le tragique vécu par les personnages.

Côté acteurs, j’ai apprécié comme souvent la capacité de Joan Bennett à jouer à la perfection les personnages ambigus au fort potentiel de séduction, quand, face à elle, se dresse un Fredric March dans un rôle de Sherlock comique, sûr de lui, surprenant et insaisissable. Mention spéciale pour Ann Sothern en secrétaire rebelle, un des personnages féminins les plus drôles que j’ai pu voir, mises à part les perfs de l’incomparable Rosalind Russell.


ALICE ADAMS – Désirs secrets

Film de 1935, réalisé par George Stevens, avec Katharine Hepburn et Fred MacMurray.

L’histoire : au début du XXème siècle, une jeune femme de classe moyenne rêve de s’élever socialement en intégrant l’univers bourgeois d’une petite ville de l’Amérique profonde.

Au vu de son intrigue de départ, je ne pensais pas que ce film me plairait à ce point. Mais il possède un atout qui se résume en deux mots : Katharine Hepburn. Face à Fred MacMurray qui campe un blanc-bec sympathique mais encore éloigné du génie du Walter Neff de Double Indemnity, elle porte un film qui semble n’être fait que pour elle, tant elle l’illumine.

Par son jeu contrasté, qui peint toute la palette des émotions, des pleurs de l’enfant gâtée au courage de la grande dame, cette Alice Adams m’a totalement conquis. Ce personnage est très certainement mon préféré de Kate, devant même sa géniale prestation dans Holiday, film magique qui mérite que je lui consacre un jour un article. 

Alice Adams, c’est pour moi une Elizabeth Bennett en herbe. Aux portes d’un monde austenien, Alice s’efforce de ressembler à ses « amies » mieux loties qu’elle, et nous sont dévoilés ses doutes et ses peines, la rendant chaque minute plus charmante et attachante.  

En dehors de son héroïne, ce film est une jolie fable sociale, et gagne à être (re-)découvert.


JEWEL ROBBERY

Film de 1932, réalisé par William Dieterle, avec Kay Francis et William Powell.        

L’histoire : à Vienne, une jeune et riche aristocrate s’éprend d’un célèbre cambrioleur.

Classe et élégance tout du long avec cette pépite oubliée. Kay Francis s’avère délicieuse dans un rôle qui combine raffinement, fausse naïveté et séduction, tandis que William Powell confirme tout le bien que je pense de lui en jouant les gentlemen cambrioleurs, dans une nouvelle version réussie de son sempiternel personnage de dandy comique.

Jewel Robbery est pour moi la meilleure adaptation d’un scénario beaucoup utilisé à Hollywood à cette époque, à savoir la romance entre une riche dame et un voleur de bijoux. Dans ce registre, Kay Francis n’en est pas à son coup d’essai, puisqu’elle incarne la même année un personnage très semblable dans Trouble in Paradise d’Ernst Lubitsch, qui, malgré une plus grande notoriété, reste pour moi en dessous de Jewel Robbery.

Ce film trouve grâce à mes yeux par l’alchimie de son couple star, qui me rappelle les envolées comiques et complices du duo Myrna Loy – William Powell, et une trame scénaristique bien construite, qui met parfaitement en valeur les personnalités de nos deux héros.