vendredi 26 décembre 2014

QUEEN CHRISTINA – La Reine Christine

 
Réalisation : Rouben Mamoulian
Société de production : Metro-Goldwyn-Mayer
Genre : Drame historique
Durée : 97 min
Date de sortie : 26 décembre 1933 (USA)
Casting :
Greta Garbo : la reine Christine de Suède
John Gilbert : Don Antonio de la Prada
Ian Keith : le comte Magnus Gabriel De la Gardie
Lewis Stone : le chancelier Axel Oxenstierna


L’HISTOIRE

Quand son père meurt au champ d’honneur en 1632, sa fille Christine accède au trône de Suède alors qu’elle n’est encore qu’un enfant. Elevée à la garçonne, c’est travestie en jeune homme qu’elle fait la connaissance au cours d’une de ses escapades du bel Antonio, diplomate espagnol chargé d’un message de son souverain pour la reine de Suède...


L’AVIS DE GENERAL YEN

Greta Garbo, c’est un mythe. Et l’on ne prend pas un mythe à la légère, sous peine d’être déçu. Aussi ai-je bien pris le soin de sélectionner le film qui, indépendamment de la prestation de l’actrice, avait le plus de chances de me plaire. Or quoi de mieux pour moi, passionné d’histoire suédoise, que d’aborder la filmographie de la plus grande actrice suédoise dans le rôle d’une souveraine suédoise des plus illustres ? 

Fort de ce constat, je me suis lancé à l’assaut du mythe. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est une réussite, que dis-je, une victoire totale par reddition sans condition des forces adverses : non seulement le film est mené de main de maître, mais surtout, j’ai jeté toutes mes réserves précautionneuses aux orties devant la prestation de son actrice star, qui m’a tout simplement fasciné.

Pourquoi dis-je que Queen Christina est mené de main de maître ? Démonstration. Ce que je demande à un film historique, c’est de m’offrir un spectacle à la hauteur des événements décrits ou, en l’occurrence, du personnage dont il est question. Quand on traite d’un souverain, on voit les choses en grand.

D'abord, le film possède un scénario équilibré, qui adapte la réalité en intégrant la dose de fiction romanesque, donnant ainsi une couleur d’épopée au récit historique. Queen Christina ne se veut évidemment pas une reconstitution fidèle de la vie de son héroïne. Le film se base sur la personnalité attestée de la reine, réputée indépendante et libre d’esprit, pour forger un personnage à la passion débordante, en contraste avec l’austérité toute luthérienne de son ministre, le chancelier Oxienstierna (Lewis Stone). Les conversations entre ces deux-là sont d’un grand intérêt, car on entre alors dans les arcanes du pouvoir, on assiste à la façon dont gouverne la reine. Le film se concentre sans surprise sur la vie romantique de la reine Christine, en alliant le vrai (les relations avec son favori Magnus De la Gardie et sa dame de compagnie, Ebba Sparre) et le fictif (sa rencontre avec don Antonio). Il est d’ailleurs intéressant de voir ici que le réalisateur n’a pas cherché à occulter la bisexualité de Christine. Eh oui, en 1933 le Code Hays n’est pas encore passé par là.

"It's all a question of climate. You cannot serenade a woman in a snowstorm."

Deuxième élément requis : de beaux décors d’époque. Le noir et blanc ne seyant pas vraiment aux films d’aventure, il faut compenser en montrant par exemple beaucoup de scènes d'intérieur et des scènes d’extérieur "nocturnes". Ici, on est en Suède, ce qui permet d’introduire des paysages enneigés, qui passent très bien à l’écran.

Et enfin, il me faut de la performance dans le jeu d’acteur, et pas qu’un peu ! On est dans les années 30, que diable ! Quand une reine parle, on lui donne de l’élocution, de la classe et du charisme ! Il faut que l’on sente la majesté du roi-héros devant nous, que l’on ressente la fascination que pouvaient avoir ses contemporains pour lui/elle ! Et à ce petit jeu, très peu d’actrices égalent une Garbo à son meilleur niveau.

Car oui, je crois avoir compris pourquoi l'on surnommait Greta Garbo la « Divine ». Le rôle d’une reine, suédoise qui plus est, lui sied à merveille. Très théâtrale (comme Katharine Hepburn – ce doit être la marque des grand(e)s), elle semble au cours du film faire déferler à l’écran les émotions qui tiraillent son royal personnage. Ce type de performance, qui pourrait paraître surjouée si ce n’était le rôle, convient parfaitement à l’idée que je me fais d’une grande reine légendaire. Garbo nous offre du spectacle à elle seule. Pas besoin du renfort d’effets spéciaux grandioses et magnifiques, la performance se suffit à elle-même. Ce qui est fascinant, car assez rare, en définitive.


"I have quite a collection of royal portraits. My suitors usually come in oil. And I've kept them - because I love a good painting."

Ce que j’aime aussi dans ce genre de film, c’est qu’il ne manque pas de nous offrir son lot de scènes inoubliables. Ainsi en est-il de l’entrée en scène très soignée de Garbo, au terme d’une cavalcade épique digne d’un grand western et d’une remontée de marches façon festival de Cannes en accéléré. L’épisode de la taverne, entre Christine et Antonio, est plein de quiproquos et de répliques subtiles. John Gilbert, qui a formé avec Garbo l'un des plus grands couples on-screen du cinéma muet retrouve ici de sa superbe : les deux anciens amants ont une réelle alchimie à l’écran. Sans oublier ce face à face mémorable entre Christine et la foule en colère qui déboule dans le palais : la classe ! Moi aussi je n’aurais pas fait un pas de plus face à un tel regard ! Quant à la scène finale, unanimement célébrée depuis 1933, elle est bel et bien digne du mythe.


Conclusion

Un mythe, en effet. Le mot est tout trouvé pour décrire l'effet que peut ressentir le spectateur en voyant Greta Garbo à l'écran. Dans Queen Christina, un film qui lui permet de donner la pleine mesure de son talent, elle parait de fait évoluer hors du temps, dans une dimension extra-terrestre. Divine.

NOTE : 9/10



mercredi 24 décembre 2014

12 ANGRY MEN – 12 hommes en colère


Réalisation : Sidney Lumet
Société de production : United Artists
Genre : drame judiciaire
Durée : 95 minutes
Date de sortie : 10 avril 1957 (USA)
Casting :
Henry Fonda : juré n° 8
Martin Balsam : juré n° 1
John Fiedler : juré n° 2
Lee J. Cobb : juré n° 3
E. G. Marshall : juré n° 4
Jack Klugman  : juré n° 5
Ed Binns : juré n°6
Jack Warden : juré n° 7
Joseph Sweeney : juré n° 9
Ed Begley : juré n°10
Jiří Voskovec : juré n° 11
Robert Webber : juré n° 12


L’HISTOIRE

Un jury de 12 hommes doit statuer à l’unanimité sur la culpabilité d’un jeune homme accusé de meurtre. Seul, un juré le déclare non-coupable, et va devoir convaincre les autres un à un que l'accusé est peut-être innocent.

L’AVIS DE FU MANCHU

Avec 12 angry men, on aborde ici l’un des plus grands films de procès jamais réalisés – et l’un des meilleurs films tout court, d’ailleurs -, dont je voulais parler sur Films Classiques pour l’empreinte qu’il a aussi laissée dans mon esprit.


N’étant pas forcément un grand amateur des films judiciaires, ou des huis-clos par la même occasion, je dois cependant remarquer que tout est parfait ici : la qualité de la réalisation, l’intérêt pour l’intrigue, la performance des acteurs… tellement parfait que l’on se retrouve captivés par l’histoire, à décortiquer les pour et les contre quant à la culpabilité de l‘accusé, pris par la curiosité de savoir de quelle manière Henry Fonda va convaincre les autres jurés.

Car c’est bien l’intérêt de 12 hommes en colère : plus que de savoir si le juré n°8 va réussir à prouver que l’accusé est innocent, c’est de savoir comment il va s’y prendre qui importe. D’autant que le scénario ne nous donne pas véritablement la réponse : peut-être l’accusé est-il coupable, peut-être pas. Mais le film va montrer, en nous révélant pas à pas les divers éléments du procès, que ce qui semblait si évident au premier abord au jury – la culpabilité de l’accusé – ne l’est peut-être pas tant que ça.

La réalisation est vraiment menée de main de maître par Sidney Lumet, et dès les premières scènes le spectateur est plongé dans le décor : le palais de justice, la fin du procès, le jury se rendant dans la salle… On a ainsi droit dès le générique à un plan séquence de plusieurs minutes où le réalisateur laisse les acteurs jouer sans interruption, ce qui donne un réalisme incroyable à la scène, qui se veut presque banale : voilà tout simplement ce qui se passerait dans une vraie salle de délibération. La sensation d’oppression qui pèse sur le procès est elle aussi  rendue de belle manière : le temps est orageux, la ventilation est en panne et les hommes vont évoluer dans une atmosphère irrespirable, allant jusqu’à enlever leurs vestes et dénouer leurs cravates pour mieux respirer…

Pourtant, le verdict semble couru d’avance. La police a rassemblé les preuves, les témoins ont parlé, les avocats ont fait leur œuvre : les jurés, en entrant dans la salle pour délibérer, n’ont guère de doute. Un sentiment de culpabilité, peut-être, envers ce jeune homme qu’ils regardent à la dérobée et dont ils ont le sort entre les mains. Mais non, la justice a fait son œuvre : il est coupable, pensent-ils tous. Tous ? Non, car un « irréductible » juré, le juré n°8, joué par Henry Fonda, n’est pas d’accord : non, tout ne colle pas dans ce procès, il n’est pas impossible que l’on se soit trompé : il vote non-coupable, et le film est lancé.
We can’t decide it in five minutes. Suppose we were wrong…

12 hommes en colère, c’est donc une heure et demie de débats à huis-clos, parfois houleux, dans cette petite pièce d’où l’on ne sort qu’au début et à la fin du film. Et c’est donc aussi une remarquable étude de personnages, puisque les arguments avancés – ou non – par chacun va être un vrai révélateur de sa personnalité. Le juré n°8 (Henry Fonda) est calme, posé, d’une force tranquille et respectueuse des autres, mais sûr de sa conviction – « le doute existe » – et est prêt à en débattre. Le juré n°1 est lui aussi intéressé par le procès, intelligent, rassembleur, c’est lui qui prend l’initiative de diriger le débat. A l’opposé, le juré n°7 n’en a que faire et veut en finir au plus vite pour assister à un match de baseball. Les hommes les plus colériques et les plus opposés à l’accusé, les jurés n°3 et 10, vont au contraire être particulièrement virulents pour faire entendre leur opinion. 
Dans tous les cas, toutes ces personnes voient le procès à travers leur prisme personnel : leur caractère, leur situation sociale, leurs préjugés vis-à-vis d’un homme issu d’un milieu défavorisé et qui, pour certains, ne peut qu’être coupable. Tout est intéressant, et c’est cette analyse des personnages, combinée aux différents éléments de l’enquête qui ne nous sont dévoilés que petit à petit, qui rend le film passionnant.





Conclusion

Au final, Sidney Lumet nous livre un excellent film, porté de main de maître par un Henry Fonda charismatique, mais aussi par tous les autres acteurs : la profondeur de chaque personnage, leurs personnalités dissemblables, les affinités ou inimitiés qui se créent durant le débat, tout cela instaure un vrai climat de réalisme qui profite au film entier, et qui contribue à en faire une œuvre devenue culte aujourd’hui.

Note : 9/10




jeudi 18 décembre 2014

THE SHOP AROUND THE CORNER - Rendez-vous


Réalisation : Ernst Lubitsch
Société de production : Metro-Goldwyn-Mayer
Genre : Comédie romantique
Durée : 99 minutes
Date de sortie : 12 janvier 1940 (USA)
Casting :
James Stewart : Alfred Kralik
Margaret Sullavan : Klara Novak
Frank Morgan : Hugo Matuschek



L’HISTOIRE

Dans une petite boutique de Budapest, un jeune employé correspond par lettres interposées avec une femme qu’il n’a jamais vue, avant de se rendre compte qu’elle n’est autre que sa nouvelle collègue, qu’il ne peut pas supporter…


L’AVIS DE FU MANCHU

The Shop around the corner est sans doute mon film préféré d’Ernst Lubitsch, et, comme souvent avec ce réalisateur, m’a beaucoup marqué par son atmosphère très particulière… Il y a un brin de nostalgie dans ce film, un charme suranné amplifié par le décor – Budapest, soit la vieille Europe au début du XXème siècle – mais aussi par le nom des lieux et des personnages : Kralik, Novak, Matuschek & Compagnie, etc.



Dans cette ambiance si singulière, qui donne l’impression d’évoluer dans un conte de Noël, comme hors du temps, nous voici au cœur d’un magasin de maroquinerie de Budapest, à la rencontre de ses employés : tous ont une personnalité bien à eux, du vieil homme bonhomme un peu perdu au jeune coursier volubile et farceur. Parmi eux, Alfred Kralik (James Stewart) est un homme comme les autres, vendeur modèle à la vie simple et paisible, et qui attend peu de la vie. Qu’il ait été invité à dîner par son patron, le grand Mr. Matuschek, et qu’il ait parlé à la grande et belle Mme Matuschek, lui ne s’en soucie guère. Car une seule chose lui importe dans son quotidien morne : les lettres qu’il échange depuis quelque temps avec une femme inconnue, échange qui a commencé par hasard, quand il a répondu à une annonce qu’elle avait fait paraître dans un journal. Conversations par plumes interposées, mais ô combien enrichissantes pour Mr Kralik, qui ne rêve qu’à sa dulcinée de papier…

L’histoire de The Shop around the Corner est remarquablement introduite, car c’est bien dans un univers somme toute « banal » qu’elle intervient : ces lettres échangées sont le point de départ de l’intrigue, et c’est l’arrivée de Klara Novak (Margaret Sullavan) qui va chambouler le monde de Kralik. Avec elle, il ne s’entend pas. Ils ne se comprennent pas, chaque phrase est interprétée de travers, et pourtant… Et pourtant, le scénario de l’histoire joue des tours aux deux jeunes gens, puisque la personne qu’ils admirent plus que tout au monde, qu’ils rêvent de rencontrer sans l’avouer, est ce même collègue dont ils ne supportent plus la conversation !

Cette situation est très intéressante, et tout au long du film, ces deux relations seront étudiées et opposées : quelle est la meilleure relation ? Celle entre deux personnes qui ne se sont jamais rencontrés, mais s’admirent et se plaisent à distance, ou celle entre deux personnes qui s’aiment car se connaissent physiquement ? Au premier abord, l’on pourrait penser que la première est plus « pure » : ils tombent amoureux pour leurs pensées et leurs idéaux, pas pour leur physique. Mais Lubitsch montrera finalement que, non pas que la seconde soit « meilleure », elle est la seule qui soit souhaitable car c’est en se rencontrant, en se « voyant », qu’un homme et une femme se plaisent et tombent amoureux. Si la question d’affinités par goûts est abordée dans les lettres à distance, rien ne vaut de se côtoyer au quotidien pour s’apprécier (thème étrangement moderne, que l’on pourrait appliquer aux sites de rencontre en faisant les mêmes remarques).
Cela dit, le film montre aussi que ce n’est pas parce que deux personnes ne se plaisent pas au premier abord qu’ils ne sont pas faits l’un pour l’autre : au fond d’eux même, Kralik et Klara ont une personnalité très semblable puisqu’ils se sont plu en se livrant par écrit ; il leur faut juste apprendre à se (re)connaître, à se fréquenter.

Well, if you don’t like Miss Novak, I can tell you right now you won’t like that girl – Why ? – Because IT IS Miss Novak… 

James Stewart joue Mr Kralik, et est une fois de plus excellent dans ce rôle de jeune homme simple,  qui cache sous ses airs discrets et maladroits un charme certain… Comme toujours dans leurs films en commun, il semble parfois comme ensorcelé par Margaret Sullavan, qui interprète Miss Novak, et leur alchimie est palpable – et pour cause, ils se connaissaient bien avant leurs débuts d’acteurs… Pour l’anecdote, Sullavan aurait d’ailleurs joué un rôle très important dans le début de la carrière de Stewart (merci Margaret !).
Ses regards affectés devant ce qu’elle pense être un homme sans aucun intérêt sont souvent très drôles, et ses « Mister Kralik » répétés sans cesse avec un regard de dédain ponctuent le film pour notre plus grand bonheur (« Ooh, Mister KRALIK !!! Kss kss… »). On remarquera d’ailleurs que le choix des noms des personnages constitue un élément comique du film, alors que ce sont des noms très courants en Hongrie (surtout Novak). Mais entendre le nom de « Kralik » à tout bout de champ dans un dialogue en anglais engendre un effet de comique de répétition très efficace…
Mister Kralik !… It’s true we’re in the same room… but we’re NOT in the same planet

Les dialogues, justement, sont très bien construits, et il m’a vraiment fallu revoir certains passages plusieurs fois pour en saisir toute la subtilité (il est vrai que l’anglais n’est pas non plus ma langue maternelle…). Le film n’en est par conséquent que meilleur et plus appréciable à chaque revisionnage, et c’est bien la marque d’une très bonne œuvre…



Conclusion

Un film de Lubitsch et ses ambiances si surannées, plus James Stewart et son air sympathique, plus Margaret Sullavan et son alchimie avec le dernier cité, voilà de quoi faire une comédie romantique des plus réussies. The Shop around the corner, c’est un petit peu l’ancêtre des célèbres rom-coms des années 90 à la Tom Hanks et Meg Ryan… Petit hommage en passant, dans You’ve got mail (1998), la librairie de la jeune femme s’appelle d’ailleurs… « The Shop around the Corner ».

Note : 8,5/10







mardi 16 décembre 2014

Les Petites Perles : Pré-Code



Cette deuxième série se concentre sur trois films de l’ère Pré-Code (1930-34).

Le 1er juillet 1934, l’entrée en vigueur du Code Hays met fin à une ère d’une grande audace créative à Hollywood. Ce guide de censure va réguler pendant trente-quatre ans l’industrie du cinéma américain : dans le but de préserver la bonne moralité des spectateurs, chaque film devra désormais respecter des règles de décence, ce qui implique de bannir injures, allusions sexuelles et violence. Modernes pour leur temps, les films Pré-Code gagnent aujourd’hui à être redécouverts, tant pour leurs scénarios subversifs que pour les performances d'acteurs désinhibés...


BABY FACE – Liliane

Film de 1933, réalisé par Alfred E. Green, avec Barbara Stanwyck et George Brent.

L’histoire : Abusée par les clients de son père pendant sa jeunesse, la jolie Lily Powers décide de tenter sa chance à New-York. Usant de ses charmes auprès des hommes, elle connait une ascension sociale fulgurante…

“Use men ! Be strong ! Defiant ! Use men to get the things you want !”

Baby Face est souvent considéré comme l’une des causes de l’entrée en vigueur du Code Hays, quelques mois après sa sortie. Typique du Pré-Code, ce film surpasse pour moi ses contemporains, tant par le message qu’il véhicule que par la prestation de son actrice principale. 

Comme un autre grand Pré-Code, Red-Headed Woman (1932, avec Jean Harlow), Baby Face suit les menées d’une belle jeune femme qui utilise à dessein son immense potentiel de séduction pour s’élever dans la société. Mais là où le premier cité enrobe son sujet d’une saveur comique, qui adoucit son ton, Baby Face nous offre un résultat sombre, une claque dramatique, qui le rend plus réaliste et puissant.


Comme toujours, Barbara Stanwyck illumine le film : elle campe une Lily au regard de braise et à la résolution d’acier. Chacun de ses numéros de drague est un morceau d’anthologie, une leçon de séduction. D'un simple regard elle envoûte les hommes et le spectateur avec elle. Car c’est aussi l’intérêt majuscule de ce film : son (anti-) héroïne effrontée parvient à susciter l’empathie malgré des actes condamnables. 


“All the gentleness and kindness in me have been killed.”

Et, comme elle le prouve également dans Double Indemnity, Barbara est parfaite pour produire l’effet voulu. Car l’effet est clairement désiré par le réalisateur, ce qui démarque Baby Face de Red-Headed Woman, où le personnage de Jean Harlow, bien qu’attrayant, n’en reste pas moins irritable. Quand l’on sait que le Code Hays bannira tout procédé visant à attirer la sympathie du spectateur sur un personnage « criminel », on comprend le scandale qu’a pu provoquer un tel film.



THE DIVORCEE – La divorcée

Film de 1930, réalisé par Robert Z. Leonard, avec Norma Shearer, Chester Morris et Conrad Nagel.                                                                                                                                                         
L’histoire : Lorsque Jerry découvre que son mari lui a été infidèle, elle le trompe à son tour. Mais celui-ci ne peut passer outre…

Comme pour Alice Adams, The Divorcee me permet de parler d’un personnage et d’une actrice qui m’ont tout particulièrement plu. Norma Shearer y incarne Jerry, une femme admirablement libre, qui après avoir bâti un couple au sein duquel, pense-t-elle, l’épouse est en tous points l’égale du mari, elle assume un divorce et continue seule son bonhomme de chemin, libre d’esprit parmi les mondaines.
“The truth ? The last thing any man wants to hear from any woman !”

Même si l’on pourra regretter un scénario somme toute très conventionnel, ce film, réalisé en 1930, est considérablement en avance sur son temps. Le divorce est traité comme un sujet banal, il n’est même pas un obstacle moral pour le couple.

Le titre du film n’est pas trompeur : c’est bien de la femme divorcée dont il s’agit : The Divorcee est donc tout naturellement porté par une Norma Shearer brillante dans un rôle complexe qui occupe le devant de la scène. Sa Jerry est à l’aise parmi les hommes, sa parole est respectée. Mieux : convoitée, bien que divorcée, elle est traitée comme une reine. Toute la subtilité de l’actrice lui permet de véritablement composer ce rôle, et de dévoiler comme nulle autre les facettes de cette femme. Norma a remporté l’Oscar de la meilleure actrice pour ce rôle, et à l’aune de sa prestation, c’est amplement mérité.




EMPLOYEES’ ENTRANCE – Entrée des employés

Film de 1933, réalisé par Roy Del Ruth, avec Loretta Young, Warren William et Wallace Ford.

L’histoire : Par ses méthodes de management dures et brutales, Kurt Anderson connait le succès en tant que directeur d’un grand magasin new-yorkais. Profitant de la détresse de la jeune Madeleine, sans emploi, il lui propose un poste de modèle contre une nuit avec elle…

Warren William, qui interprète dans ce film un employeur tyrannique, est surnommé « King of Pre-Code ». A son instar, je déclare sa partenaire d’Employees’ Entrance, Loretta Young, Reine du Pré-Code. Et pourtant, cette même actrice incarnera plus tard des femmes aux mœurs irréprochables et aux valeurs éprouvées, comme dans The Bishop’s Wife ou The Farmer’s Daughter (1947). Au début des années 30, pourtant, Loretta multiplie les rôles de jeune beauté au visage d’ange, ses beaux yeux grands ouverts et la bouche en cœur. Un ange pas toujours si innocent.

“With your looks, you shouldn't have any trouble finding a job.”

J’apprécie Employees’ Entrance pour deux raisons, qui combinées, font de ce film un grand Pré-Code. Je l’ai citée, il y a d’abord l’atout Loretta. Bien qu’elle ne domine pas le film comme dans Born to Be Bad (titre évocateur) par exemple, son personnage, Madeleine, est d’un grand intérêt : sous ses abords candides, elle n’en cède pas moins à la tentation d’avoir un emploi facilement, quel qu’en soit le prix à payer. 

Un rôle féminin, dans un Pré-Code typique, n’est pas là pour décorer comme une plante de salon. Non, le rôle féminin sert à électriser l’intrigue : dans Employees' Entrance, Madeleine est bien malgré elle l'élément perturbateur, qui, par son arrivée dans la vie de deux hommes, va susciter désir de possession pour l'un, amour pour l'autre, jouant ainsi à merveille un rôle de révélateur des personnalités masculines. 

Tantôt vulnérable à l’extrême, tantôt drôle et enjouée, Loretta Young joue ici une partition sage, mais fortement symbolique : dans un Pré-Code, la femme est souvent manipulatrice (et amorale), comme dans la Lily de Baby Face, ou manipulée (et moralement en péril), comme ici Madeleine. Bien au-delà de l’aspect « subversif » d’une paire de jambes dévoilée, la figure féminine est une pièce maîtresse, sur laquelle aiment jouer les réalisateurs audacieux.

L’autre « trait de génie » du film réside dans son traitement du fonctionnement du grand magasin, indissociable du comportement de son directeur, Mr Anderson. Tourné pendant la Grande Dépression, Employees’ Entrance dresse un portrait fin et saisissant d’un homme, obnubilé par son succès personnel, prêt à tout pour garantir le développement comme la survie de l’entreprise qui est devenue sa vie… et sa proie. Sur ce plan, le film n’épargne rien à son spectateur. Cru et féroce, cet aspect du film est très éloigné des attentes « screwballiennes » que le public manifeste alors pour s’évader de son contexte difficile. Mais le rire est bien présent. Il coule même à flots par le biais de personnages secondaires qui sont autant de « comic reliefs », et bien sûr de l’inévitable Loretta Young.

samedi 13 décembre 2014

Les Trésors Cachés de Fu Manchu

Voyageurs avides de mystères, pénétrez dans mon antre et découvrez les trésors cachés de mes pérégrinations au cœur de l’Âge d’or. Gemmes rares et oubliées, elles n’en ont pas moins gardé une grande valeur. Ici, ne cherchez pas la lune, vous y trouverez des étoiles…


BACK STREET

Film de 1932, réalisé par John M. Stahl, avec Irene Dunne et John Boles.



L’histoire : une femme, éperdument amoureuse d’un homme marié, devient sa maîtresse mais est condamnée à vivre perpétuellement dans l’ombre.

Back Street nous plonge dans le charme suranné de ces vieux films des tout-débuts du parlant, impression renforcée par l’époque dépeinte : en 1900, Ray Schmidt, une jeune femme vive, épanouie et qui entend profiter de sa vie à pleines dents, tombe amoureuse… Las, après plusieurs malentendus, l’homme qu’elle aime en épousera une autre, et quand il reviendra dans sa vie, elle sera confrontée au choix de se contenter d’être sa maîtresse, ou de le perdre à jamais.

Ce film nous propose donc une ambiance très particulière, et très réussie – typiquement « pré-code », puisque l’on est quand même amené à prendre fait et cause pour une relation adultère. Irene Dunne, dans le rôle de Ray Schmidt, est remarquable, sachant interpréter les évolutions de son personnage tout en finesse : la jeune fille enjouée des débuts, la femme délaissée puis la vieille dame digne et mélancolique.

Car il y a en effet une certaine mélancolie qui se dégage de l’œuvre, qui montre une femme résignée à son sort et qui assumera jusqu’au bout les conséquences de son choix. Le plus intéressant est qu’il n’y a pas de « méchants » dans cette histoire : ni Ray, maîtresse d’un homme marié mais tellement attachante ; ni cet homme, que l’on pourrait penser cruel et détestable mais qui semble plutôt coincé par les aléas de la vie ; ni, non plus, la famille de cet homme… La fin du film n’en est d’ailleurs que plus belle et émouvante.


EASY LIVING – La vie facile

Film de 1937, réalisé par Mitchell Leisen, avec Jean Arthur, Edward Arnold et Ray Milland.



L’histoire : une jeune femme pauvre est prise par erreur pour la maîtresse d’un riche homme d’affaires, et se voit comblée de cadeaux pour gagner ses faveurs.

Place ici à une screwball comedy des plus drôles portée par une Jean Arthur au meilleur de sa forme, incarnant une « working girl » sympathique et désargentée face au tout puissant businessman interprété par Edward Arnold. Le film est emmené sur un rythme effréné où les situations les plus improbables s’enchaînent, quiproquo après quiproquo : Jean Arthur sera ainsi prise pour l’amante d’Arnold, et sera assaillie de cadeaux aussi incongrus les uns que les autres par ceux qui espèrent gagner les faveurs du businessman.

Comme souvent dans les comédies de l’époque, le rire est amené par le décalage entre les situations sociales des principaux protagonistes et leurs attitudes globalement opposées : le rêve du personnage de Jean Arthur est de posséder un chien, elle récupère un manteau de fourrure ; elle vit dans un logement très bon marché mais se voit invitée dans un palace, etc.

Jean Arthur révèle encore une fois tout son talent comique dans cette comédie débridée, marquée par des scènes cultes, comme la fameuse scène du téléphone, qui constitue une vraie performance d’actrice.


STAGE DOOR – Pension d’artistes

Film de 1937, réalisé par Gregory La Cava, avec Katharine Hepburn, Ginger Rogers et Adolphe Menjou.



L’histoire : les hauts et les bas des habitantes d’une pension pour comédiennes, qui tentent de réaliser leur rêve de devenir des actrices célèbres.

Stage Door est un subtil mélange de comédie et de drame, racontant les affres des jeunes filles arrivant à New York pour y devenir comédiennes. L’ambiance de la pension pour jeunes femmes y est très bien rendue et très intéressante, entre petites chamailleries, rivalités mais surtout, amitiés et solidarité.

Katharine Hepburn joue une fille de la haute société espérant percer en tant qu’actrice, cependant ses manières « snob » lui jouent des tours et lui valent les railleries des autres filles. S’oppose à elle toute la gouaille comique de Ginger Rogers, que j’ai découverte et beaucoup aimé dans ce film, et qui délivre réplique culte sur réplique culte – pour lesquelles on ne peut que remercier le talent des scénaristes. La scène de rencontre des deux actrices, notamment, est particulièrement drôle.

Le film tend pourtant à s’assombrir car, loin de rester une simple comédie, il insiste sur le caractère précaire de ces jeunes femmes, qui sont « convoitées » par les hommes qui ont le pouvoir de leur octroyer un rôle, et doivent supporter la pression d’échecs répétés. Avant qu’enfin, vienne l’opportunité de leur vie…



mercredi 10 décembre 2014

ONLY ANGELS HAVE WINGS – Seuls les Anges ont des ailes

Réalisation : Howard Hawks
Société de production : Columbia Pictures
Genre : Aventure
Durée : 121 minutes
Date de sortie : 15 mai 1939 (USA)
Casting :
Cary Grant : Geoff Carter
Jean Arthur : Bonnie Lee
Rita Hayworth : Judith « Judy » MacPherson
Richard Barthelmess : Bat MacPherson
Thomas Mitchell : « Kid » Dabb
Allyn Joslyn : Les Peters
Sig Ruman : John « Dutchy » Van Reiter


L’HISTOIRE

Une jeune femme débarque dans une petite ville portuaire d’Amérique du Sud, où elle fait la connaissance des aviateurs qui assurent le transport du courrier au-delà de la Cordillère des Andes, dans des conditions épouvantables et souvent très dangereuses.

L’AVIS DE FU MANCHU

Aujourd’hui voit le retour de Jean Arthur sur Films-Classiques, puisqu’après Mr. Smith goes to Washington où elle était associée à James Stewart, la voici avec Cary Grant dans un film sorti la même année, Only Angels have wings (Seuls les Anges ont des ailes).



Cette fois-ci, pas d’intrigue politique au menu, mais une plongée dans un monde exotique et impitoyable, celui des aviateurs de l’Aéropostale chargés de transporter le courrier dans les Andes. Cette immersion dans ce monde « d’hommes » est rendue de manière très intéressante dans le film, où l’on suit le personnage de Bonnie Lee (Jean Arthur), musicienne dont le bateau a fait escale dans ce petit port d’Amérique du Sud, découvrir la ville, ses habitants, son exotisme et, finalement les seuls autres Américains présents sur place : les aviateurs. Avec elle, on découvre le quotidien de ces hommes rudes, courageux, risquant leur vie pour mener à bien leur mission, comme désabusés par leur sort incertain mais prêts à continuer leur travail coûte que coûte…
Dans cet univers, peu de place est faite aux femmes, ni aux sentiments : pourquoi s’engager quand tout peut disparaître d’une minute à l’autre ? Forcés de continuer à vivre après la mort d’un des leurs, les aviateurs l’oublient comme s’il n’avait jamais existé : façade impitoyable, mais cœur lourd, car il faut bien continuer à vivre, et y retourner, encore et encore, dès que retentit l’appel…



Geoff Carter (Cary Grant), le patron des aviateurs et le meilleur d’entre tous, est l’incarnation de l’aventurier, rude, misogyne, passionné par son travail mais qui ne l’abandonnerait pour rien au monde. Cary Grant l’interprète de très grande manière, donnant au personnage une profondeur qui va au-delà de son cynisme et de sa goujaterie du premier abord : c’est à un homme blessé que l’on a affaire, rongé par les pertes humaines (la mort de ses confrères aviateurs, dont il se sent responsable) et sentimentales (la traîtrise de la femme qu’il aimait), et se protégeant par son machisme et une insensibilité de façade pour éviter de souffrir à nouveau.

Face à lui, Jean Arthur est Bonnie Lee, l’étrangère à ce monde, la femme normale à qui l’on va s’identifier et qui nous permet d’entrer dans le film. Comme elle, l’on va d’abord être choqué par l’absence d’humanité dont semblent faire preuve ces hommes, puis comme elle, on va les comprendre et les estimer. Sûre d’elle, pleine de vie, elle se fait rapidement accepter par les hommes qui l’entourent, et le potentiel comique de Jean Arthur réapparait le temps de quelques scènes pour alléger l’atmosphère du film (le piano, la scène du bain). Son alchimie avec Cary Grant prend peu à peu forme, et, pleine de surprises, c’est elle qui décide de rester pour tenter l’aventure d’une romance avec lui.

Dans ce film, deux personnages féminins se font d’ailleurs face : Bonnie Lee (Jean Arthur), la femme forte, capable de prendre ses propres décisions, voyageant seule, sûre d’elle et déterminée à se faire respecter en tant que femme. Et Judy (Rita Hayworth), la belle jeune femme, plus effacée, dans l’ombre de son homme et prête à y rester. Entre les deux, le film se positionne clairement, et seule une femme comme Bonnie était à même de séduire à nouveau un Geoff désabusé par la gent féminine et ne s’en cachant pas.

Centré sur Jean Arthur dans sa première partie, le film s’intéresse beaucoup plus aux pilotes dans la deuxième, avec l’arrivée d’un personnage très intéressant : Bat MacPherson (Richard Barthelmess), le traître, honni par ses pairs, mais dont la petite entreprise a désespérément besoin pour survivre. Calme, taiseux, il accepte sans broncher les missions les plus dangereuses, et rachète par son courage ses erreurs passées : symbole de ces hommes qui, perdus au milieu d’un monde étranger, sont comme forcés de tirer un trait sur le passé pour se fixer sur leur (court) avenir…

Symboliques aussi de ce monde enchanteur et sans pitié, telle la jungle sud-américaine, les scènes des musiciens placées au début et à la fin du film : cette musique douce et exotique, qui enchante Jean Arthur au début du film, a une résonance beaucoup plus mélancolique quand le film prend fin, comme une parenthèse dans ce monde si particulier qui se referme : lancinante, la mélopée semble pleurer les morts et célébrer le courage de ces aventuriers décidément hors du commun.



Conclusion

Only Angels have wings nous offre donc un film d’aventure très bien construit, nous plongeant dans le quotidien de ces hommes rustres puis nous montrant la part d’humanité qu’il reste encore en eux, et qui les aide à tenir dans cet endroit coupé du monde. Cary Grant porte le film côté masculin, bien entouré par de très bons rôles secondaires, et Jean Arthur montre encore une fois quelle actrice unique elle était…


NOTE : 8,5/10