mardi 22 décembre 2015

CONSTANCE BENNETT, LE DON DE L’ELEGANCE




Au chapitre de l’élégance, la constance a un nom : Bennett. C’est peu dire que la blonde Constance (1904-1965), l’aînée des sœurs Bennett (Joan, la brune, étant la plus célèbre) a su développer au cours de sa carrière un style d’une sophistication rare, entre mélodrames et comédies loufoques. Si sa sœur a imposé sa griffe de femme fatale dans le film noir des années 40, Constance a percé plus tôt et a connu ses heures de gloire dans les années 30. A son aise dans des rôles de jeune femme mondaine, elle charme par ses airs faussement pincés, ses œillades sarcastiques, et de sa belle voix rauque domine avec aisance de ses répliques ses partenaires masculins.


What Price Hollywood?, les dessous de l’usine à rêves




Un film de George Cukor (1932), avec Constance Bennett, Lowell Sherman et Neil Hamilton.

L’histoire : Mary Evans (Constance Bennett), une jeune serveuse, est propulsée au rang de star de cinéma avec l’aide et la complicité de Max Carey (Lowell Sherman), un réalisateur à la carrière déclinante qui sombre peu à peu dans l’alcool, tandis que sa protégée prend son envol.

Première ébauche de A Star is Born (Une étoile est née), What Price Hollywood? allie le comique au tragique pour lever le voile sur les coulisses de l’univers cinématographique américain. Le film a le mérite de montrer dans un même mouvement le rêve fabuleux procuré par Hollywood (l’ascension fulgurante de Mary) et le cauchemar dans lequel un faux pas peut plonger subitement une carrière (la déchéance du réalisateur alcoolique). Surtout, le film met en exergue le dilemme moral d’une telle industrie : si Mary obtient le succès tant espéré, c’est en pliant sa vie aux contraintes du système (incarné par le producteur, tellement cynique que c’en est drôle). Si le cinéma fait la gloire de certains, il peut leur reprendre leur dignité en un claquement de doigts. Tel est le message d’un film étonnamment moderne à une époque où les studios sont tout puissants.

Dotée d’un rôle de géante, Constance Bennett ne laisse pas passer l’occasion de donner une performance inoubliable. Combative, elle incarne avec brio cette jeune femme qui accède à la célébrité avec son cortège de noirceurs. Je retiens surtout la facilité qu’elle a de passer d’un personnage de serveuse entreprenante et taquine à celui d’une diva exubérante et enfant gâtée. La transformation est saisissante.

La relation de Mary avec les hommes, et en particulier son réalisateur fétiche, est également l’une des trames motrices du film. La complicité Constance Bennett / Lowell Sherman est source de rire tout autant que de larmes, et le tout a de quoi rendre l’expérience marquante pour le spectateur.


Topper, rien ne sait mourir comme les bons vivants




VF : Le couple invisible. Un film de Norman Z. McLeod (1937), avec Constance Bennett, Cary Grant, Roland Young et Billie Burke.

L’histoire : Un couple mondain et bon vivant, Marion (Constance Bennett) et George Kerby (Cary Grant), meurt subitement dans un accident de voiture. Devenus des fantômes, les facétieux époux décident d’aider - à leur façon - le banquier Cosmo Topper (Roland Young), un homme aux manières très guindées, à enfin profiter de sa vie.

La fin des années 30 voit Constance se jeter à corps perdu dans le genre qui lui sied probablement le mieux : la screwball comedy, ou comédie loufoque. Avec un style qui tient du Marlene Dietrich et du Carole Lombard tout à la fois (!), elle détonne au bras du futur spécialiste du genre, Cary Grant, qui brillera la même année dans The Awful Truth.

Topper permet à la belle de jouer non seulement sa partition la plus célèbre, mais surtout de donner chair à l’héroïne certainement la plus représentative de son style de jeu le plus abouti. Comme son époux, Marion Kerby est adepte du carpe diem (cf. la très belle scène avec l’inévitable pianiste Hoagy Carmichael), mais elle n’en est pas moins une dame indépendante, qui se passe de l’autorisation de son mari pour faire ce qu’il lui plaît (ce qui contraste avec l’attitude de Topper, soumis aux diktats de sa femme). 

En campant une femme libre, séductrice et volontaire, Constance capte l’humour et par là-même toute l’âme du film. On peut citer comme petites perles comiques provoquées par l’inénarrable jolie mondaine la jalousie du personnage (fantôme !) de Cary Grant ou encore l’embarras du pataud et timide Topper, vraiment irrésistibles. Et il y a de quoi, au vu de l'ampleur de la sensualité déployée, à grand renfort de poses lascives. Ce n'est pas sans rappeler le Pré-Code, ce qui n'est pas pour me déplaire.


Merrily We Live, la classe folle de l’excentricité




VF : Madame et son clochard. Un film de Norman Z. McLeod (1938), avec Constance Bennett, Brian Aherne, Billie Burke et Alan Mowbray.

L’histoire : Une riche mère de famille a pour manie de prendre à son service tout clochard qu’elle rencontre. Alors que le dernier en date s’est enfuit avec l’argenterie de la maisonnée, le reste de la famille n’aspire qu’à ce que cette habitude cesse. Mais lorsqu’un jeune homme en haillons, Wade Rawlins (Brian Aherne), se présente à sa porte, la fantasque Mrs Kilbourne (Billie Burke) ne peut s’empêcher de lui proposer un poste de chauffeur, au grand dam de sa fille aînée, la pétillante Jerry (Constance Bennett).

Je mentionnais Carole Lombard, et la comparaison prend tout son sens s’agissant de Merrily We Live, au scénario proche de My Man Godfrey (un film de 1937 dans lequel la « Reine de la Screawball Comedy » a donné probablement sa performance la plus légendaire), puisque la première actrice pressentie pour ce rôle était… Constance, of course ! Ce n’était que partie remise, puisqu’un an plus tard voilà notre Constance en fille aînée d’une famille particulièrement déjantée.

Contrairement à My Man Godfrey ou You Can't Take It With You, cette fois-ci seule la mère mérite réellement le qualificatif de dingue, mais à un point tel qu’elle en vaut bien dix. Billie Burke est absolument iconique dans ce rôle, quitte à en faire parfois presque trop. Son type de jeu, assez délicieux, n’est pas sans rappeler les différentes incarnations de la mère d’Elizabeth Bennett (décidément !) dans Orgueil et Préjugés (avis aux amateurs !). Le majordome, joué par un Alan Mowbray à son plus drôle, est fabuleux : sa méfiance instinctive envers les mendiants ramenés par sa Maîtresse vaut son pesant d’or.

Riche en quiproquos subtilement dosés, Merrily We Live vaut principalement pour l’alchimie indéniable qui émane du duo de choc Constance Bennett / Brian Aherne. La rencontre entre la riche et sophistiquée Jerry et l’homme venu de nulle part arborant une barbe de trois jours fait des étincelles. Marivaudage très réussi, leur relation est d’un bout à l’autre une sorte de jeu de l’amour et du hasard remis au goût du jour (enfin, des années 30 !). En cela le film diverge grandement d’un My Man Godfrey, d’autant que Constance campe de loin le personnage le plus sensé du lot, ce qui rend son attitude envers Rawlins encore plus savoureuse.

Le tout est bien évidemment d’une classe folle (bien sûr !), ce qui ne peut que faire regretter que l’actrice ait vu à ce moment sa carrière s’éteindre à petit feu, au moment même où celle de sa sœur Joan décollait. Qu'importe, l'œuvre que Constance Bennett laisse derrière elle mérite qu’on se rappelle d’elle, la blonde hollywoodienne qui détenait le secret de l’élégance.



mercredi 2 décembre 2015

VICTOR SJÖSTRÖM, LE SONDEUR DES ÂMES



A l’aube des années vingt, en Suède, un acteur-réalisateur du nom de Victor Sjöström est au sommet de son art. Avec d’autres prodiges, tels le cinéaste Mauritz Stiller ou le chef opérateur Julius Jaenzon, les maîtres suédois donne au cinéma muet naissant quelques-unes de ses plus belles lettres de noblesse. Courtisé par Hollywood, Sjöström donnera bientôt aux Américains quelques perles, avec l’aide d’interprètes d’une expressivité rare comme Lon Chaney et Lillian Gish.

Fabuleux révélateur de la profondeur de l’âme humaine, son cinéma est un art où les émotions et les sentiments transpirent par les regards et les gestes des acteurs, et où une esthétique sombre d’une étonnante beauté donne un sens, une revendication, une signature à l’action. Voici quatre films parmi les plus grands signés du maître.


Körkarlen, la mort rend visite aux vivants



Un film de Victor Sjöström (1921), avec Victor Sjöström, Hilda Borgström, Tore Svennberg et Astrid Holm.

L’œuvre riche de la romancière suédoise Selma Lagerlöf a inspiré une grande partie des chefs d’œuvre de l’âge d’or du cinéma suédois, comme Le trésor d’Arne et La légende de Gösta Berling de Mauritz Stiller, et La charrette fantôme (Körkarlen en VO) de Victor Sjöström. Le cinéaste, qui joue également le rôle principal, signe ici un conte noir, fantastique, et pourtant ancré dans une réalité très présente, celle de la misère.

A la Saint-Sylvestre, une jeune femme de l’Armée du Salut, mourante, demande à voir un ancien protégé, David Holm, un ivrogne. Celui-ci, assis dans un cimetière, évoque avec des compagnons d’infortune une légende selon laquelle le dernier homme à mourir dans l’année est condamné à servir la Mort, en conduisant pendant une année la charrette de la Mort. Quand Holm refuse de se rendre au chevet de la mourante, ses compagnons le querellent et ils se battent. Quelques instants avant que minuit ne sonne, David Holm meurt.


Körkarlen est un film visuellement saisissant. Les plans figurant la charrette fantôme et son cocher, faits au moyen de surimpressions, sont particulièrement réussis et étonnamment modernes pour l’époque. Les scènes fantastiques du film lui donnent une aura sombre, mystérieuse et envoûtante, mais peu effrayante : le rythme lent et l’absence de violence du fantôme en font plus un messager implacable du destin qu’une menace réelle. En revanche, la description de la vie quotidienne dans ces rues sordides, ce cimetière, ces intérieurs misérables, entretiennent un malaise bien plus grand. Par ailleurs le film explore les méandres du caractère de David Holm : ses choix et ses motivations sont passés au crible de la morale chrétienne, permettant à Sjöström de montrer également ses talents d’acteur en homme au bout du rouleau, fautif et pourtant suscitant la pitié.


He Who Gets Slapped, la complainte du clown


Un film de Victor Sjöström (1924), avec Lon Chaney, Norma Shearer et John Gilbert.

Il est rejeté par tous, ses pairs, sa femme : tous se sont ligués contre lui. Lui, c’est « Celui qui reçoit des claques », He, who gets slapped. Tous au cirque ne le connaissent que sous ce sobriquet, « He ». Autrefois, c’était un scientifique qui ambitionnait de révolutionner son champ de recherche. Mais, trahit par son mécène et sa femme, il s’est vu moqué en public par ses collègues, après avoir été giflé par l’homme qui lui a volé son triomphe. Cette humiliation, il la reproduit depuis en tant que clown, et chaque soir il provoque l’hilarité du public en recevant claque après claque.


« He » est incarné par Lon Chaney, « l’homme aux mille visages », qui fait de ce personnage torturé, mais captivant et non dénué d’héroïsme, une incarnation de la souffrance morale et de la résignation. Les génies combinés de Chaney et Sjöström subliment ce récit tragique en lui apportant une splendeur visuelle, qui expose aux yeux de tous l’injustice qui peut être commise par les hommes, et l’impact fatal que celle-ci peut produire sur l’âme d’un être excessivement humain.

Mention spéciale pour Norma Shearer, qui montre dans ce film quelle profondeur on peut donner à une ingénue par un jeu d’actrice subtilement dosé.


The Scarlet Letter, la marque de l’infamie


Un film de Victor Sjöström (1926), avec Lillian Gish et Lars Hanson.

Récit célèbre régulièrement porté à l’écran (la dernière fois en 1995), The Scarlet Letter (La lettre écarlate) conte les déboires d’Hester Prynne (Lillian Gish), une jolie jeune femme confrontée aux mœurs puritaines d’un village de Nouvelle-Angleterre au 17ème siècle. L’attitude « pécheresse » d’Hester lui vaut d’être condamnée à porter sur ses habits l’infâme « A » rouge (pour « adultère »), malgré les efforts du très influent révérend Dimmesdale (Lars Hanson), qui s’est épris d’elle.

Lars Hanson, le génial interprète de Gösta Berling, frappe encore après avoir émigré aux Etats-Unis, tel une Greta Garbo ou Victor Sjöström lui-même. Le révérend Dimmesdale n’est pas sans rappeler le pasteur défroqué Gösta, la lèvre fine et le sourcil arqué. Son charisme éclate, et il en a besoin : face à lui, l’immense Lillian Gish déploie des trésors de finesse, de charme discret et d’émotion contenue derrière ses grands yeux et sa bouche en cœur. La reine des ingénues signe comme souvent l’exploit de dominer le film et de capter l’attention tout en paraissant frêle et fragile. L’incarnation de l’innocence et de la pureté.


Si le principal intérêt de ce film est son scénario et les performances de ses acteurs, la réalisation n’est pas en reste. Le pittoresque d’un petit village d’une colonie puritaine, qui reflète la candeur d’Hester, est doublé d’une impression d’isolement, de huis-clos, particulièrement présente lors des scènes enneigées et nimbées d’obscurité. Les habitants s’épient par les fenêtres, la menace vient du dehors. Sjöström dénonce l’injustice, et pour ce faire insiste sur l’innocence de Lillian, filmée dans une attitude si paisible, mignonne et résignée. Le tout est sobre, mais suffit pour embellir les émotions dégagées.


The Wind, le vent du nord se déchaine



Un film de Victor Sjöström (1928), avec Lillian Gish et Lars Hanson.

Le Vent est probablement le plus célèbre et le meilleur exemple de ce que l’art de Sjöström pouvait accomplir à partir de rien. Car le scénario est d’une grande simplicité : une jeune femme part vivre dans les plaines venteuses de l’Ouest sauvage américain, et doit apprendre à survivre. Mais ce film est avant tout l’occasion pour le réalisateur de retranscrire le ressenti de l’héroïne, interprétée par Lillian Gish, et dont la maîtrise charismatique inonde l’écran : on ne voit qu’elle. L’autre « personnage » marquant du film n’est autre que le danger qui la menace : le vent du nord, le plus terrible de tous. Le vent qui rend fou.

Le vent du nord est ici un personnage mythique, que craignent et vénèrent les habitants de ces plaines sauvages. Et c’est là que Sjöström sublime son film, en donnant au vent une dimension onirique, puisque le vent du nord est personnifié dans quelques séquences par un cheval fantôme ruant et galopant dans le ciel. Ce qui pour nous s'apparente à un rêve éveillé est comme un cauchemar pour l’héroïne ingénue, et Lillian parait bien frêle pour affronter les assauts du vent et la rudesse des hommes frustres de ces terres désolées. Comme Chaney dans He Who Gets Slapped, Lillian entre en symbiose avec l’art de son cinéaste pour produire l’évolution du caractère de son personnage, qui lutte de toutes ses forces pour ne pas se noyer dans cet univers étrange et diabolique, et dont, pourtant, il ressort une certaine grandeur, une fragile beauté.




mercredi 28 octobre 2015

THE PRISONER OF ZENDA – Le Prisonnier de Zenda (1937)


Réalisation : John Cromwell
Société de production : Selznick International Pictures
Scénario : John L. Balderston, Wells Root et Edward E. Rose, d’après le roman d’Anthony Hope
Photographie : James Wong Howe
Musique : Alfred Newman
Date de sortie : 2 septembre 1937 (USA)
Durée : 101 min
Casting :               
Ronald Colman : Rudolf Rassendyll / Rudolf V
Madeleine Carroll : Princesse Flavia
Douglas Fairbanks Jr. : Rupert of Hentzau
Raymond Massey : Duc Michael
Charles Aubrey Smith : Colonel Zapt
David Niven : Fritz von Tarlenheim
Mary Astor : Antoinette de Mauban


L’HISTOIRE

Un Anglais en visite à Strelsau, capitale d’un pays (fictif) d’Europe centrale, est contraint de prendre la place du futur souverain du royaume, auquel il ressemble fortement, après que celui-ci ait été drogué par ses ennemis.


L’AVIS DU GENERAL YEN

Dans un film, la première impression donnée au spectateur est déterminante, et une séquence d’introduction réussie est pour moi essentielle. La plupart de mes « classiques » favoris disposent d’un générique de légende, et on peut citer parmi les plus célèbres ceux de Double Indemnity, Sunset Boulevard ou Leave Her to Heaven. Et c’est pourquoi The Prisoner of Zenda m’a emporté dès son entame, grâce à une musique de générique toute en trompettes, solennelle et jubilatoire, annonciatrice (à mon plus grand plaisir) d’un thème musical récurrent tout au long du film.

Adaptation d’un roman d’aventure d’Anthony Hope, The Prisoner of Zenda figure une trame narrative qui me séduit tout particulièrement : un personnage prend la place d’un autre. Et quand cet autre n’est autre qu’un roi, et que le destin d’un royaume est en jeu, les quiproquos, les mensonges et les sous-entendus sont d’autant plus savoureux. Guidé par deux fidèles du futur roi Rudolf assommé par les somnifères destinés à lui faire rater son propre couronnement, l’étranger de passage Rudolf Rassendyll (Ronald Colman) accepte d’entrer dans la peau de celui auquel il ressemble comme deux gouttes d’eau. Il va faire la rencontre (charmante) de la promise du roi, la princesse Flavia (Madeleine Carroll), et celle (navrante) de son frère et rival le duc Michael (Raymond Massey), suivi comme son ombre par son âme damnée, le génial Rupert of Hentzau (Douglas Fairbanks Jr.).



Quoique le scénario, pourtant basé sur un roman à succès et la pièce de théâtre qui en est tirée, ne verse pas dans l’originalité (on est dans l’intrigue de cape et d’épée la plus pittoresque), il n’en reste pas moins une recette efficace pour un bon divertissement, ce qui est la qualité première requise pour un film d’aventure. Et l’essentiel n’est pas là, mais dans la mise en scène, qui allie le grandiose, comme dans la superbe scène du couronnement sublimée par les chœurs, à l’humour subtil (la relation Rudolf / Flavia) et exubérant (le machiavélique Rudolf of Hentzau dans ses œuvres).

Les décors ne sont pas en reste, et la photographie noir et blanc du maître James Wong Howe est si riche qu’elle fait passer l’envie de couleur, pourtant souvent indispensable aux grandes fresques d’aventures. Le noir et blanc est ici mis à profit pour insister sur la dichotomie traditionnelle du genre entre le bien (Rudolf Rassendyll, vêtu d’un uniforme blanc lors du couronnement) et le mal (les sbires du duc Michael, en hussards noirs). Chaque scène semble avoir lieu dans un décor différent, ce qui renforce une certaine impression de théâtralité (probablement due à la pièce qui a inspiré le film), sans pour autant qu’elle soit un défaut, vu le cadre (monarchique et pompeux) de l’histoire. Les scènes de nuit sont vraiment très belles, que ce soit la promenade dans le jardin, les discussions à la lumière de la bougie ou du feu de l’âtre, ou encore les ombres des escrimeurs dans les sous-sols d’un château.

Jeu d'ombres sur le duel final
Les hussards noirs à l'écoute du Duc












Côté acteurs, deux hommes survolent le casting, dans des styles très opposés. Ça méritait bien une nouvelle rubrique, inspirée par deux généraux fameux :

Le Yen et le Yang

Le Yen (héros sacrificiel) : Ronald Colman (Rudolf Rassendyll / Rudolf V), dans l’un de ses plus beaux rôles, est particulièrement brillant et charismatique. Son plus grand mérite est sans doute de réussir à peindre avec justesse deux personnages aux tempéraments et aux comportements bien distincts (l’héritier du trône alcoolique et irresponsable / l’étranger humble, généreux et déterminé).

Le Yang (génie du mal) : Douglas Fairbanks Jr. fait de Rupert of Hentzau l’un des méchants les plus géniaux du cinéma classique. Dans le style du « vilain » jubilatoire, l’acteur campe un être manipulateur et fourbe. Ses yeux clairs exorbités, son verbe facile et sa gouaille excentrique concourent à en faire le principal élément comique du film, et chacune de ses apparitions est jubilatoire. Sa joute oratoire avec Colman dans la seconde partie du film est un petit chef d’œuvre.

Le terrible Rupert of Hentzau...
La princesse Flavia, pensive...











Il est temps de faire une pause, et le Général Yen vous invite à découvrir la suite de la distribution autour d’un bon thé :

Le Thé du Général

Sucré : Madeleine Carroll, une actrice que j’apprécie beaucoup, qui charme par sa beauté, sa classe toute britannique et ses notes d’humour, sans pour autant éviter des passages très niais. On lui pardonne volontiers.

Parfumé : Mary Astor, en « gentille » dame éprise du « méchant », un des rôles, joué avec une grande délicatesse, qui m’a fait apprécier cette actrice (très séduisante dans Dodsworth, calamiteuse dans The Maltese Falcon).

Rond en bouche : C. Aubrey Smith et David Niven, les deux acolytes du roi, un apport comique irrésistible.

Corsé puis amer : Raymond Massey, un excellent « Black » Michael au début (mimiques haineuses drôles à souhait), qui perd de sa superbe sur la fin (la faute en partie au scénario).


NOTE : 8/10. Un film d’aventures qui tient ses promesses, aux allures de comédie épique, porté par une excellente galerie d’acteurs principaux et secondaires et des dialogues d’anthologie dans des scènes de grande classe. Quelques défauts toutefois : une romance parfois trop fleur-bleue malgré une bonne alchimie Colman / Carroll, une dramatisation très caricaturale à la fin. 

jeudi 3 septembre 2015

DANA ANDREWS, « JOHNNY REB » BROIE DU NOIR




Dana Andrews (1909 – 1992) est un acteur méconnu. A tort. Solidement bâti, le regard sombre pénétrant, les lèvres souvent figées en une moue reconnaissable entre mille, ce natif du Vieux Sud, Texan d’adoption, a conquis mon estime pour ses performances sobres et solides d’hommes désillusionnés, mi bourrus, mi charmeurs, lui que le passage d’une jolie brune laisse rarement indifférent. Soldat héroïque, figure de l’Ouest sauvage, il a surtout laissé son empreinte dans les bas-côtés des trottoirs urbains lavés par la pluie en faisant les heures de gloire du Film noir américain.


Cinq faits d’armes

Boomerang!, l’aura du justicier 



Un film d’Elia Kazan (1947), avec Dana Andrews, Jane Wyatt et Lee J. Cobb.

Dans ce film à la tournure quasi documentaire (scénario basé sur un fait divers, usage très limité de la musique, style sobre et réaliste), Andrews incarne un procureur d’une petite ville américaine qui, après qu’un meurtre ait été commis et un suspect identifié, et que tout accuse, va s’efforcer de démêler le vrai du faux dans une véritable démonstration de ce que doit être la justice.

Ce qui est remarquable dans Boomerang, c’est la mise en lumière de tous les fils qui relient entre eux les différents pouvoirs dans une commune lambda. Police et justice sont sous l’influence du politique. Les intérêts des notables convergent et le procureur, joué par Andrews, est au cœur du système. C’est pourquoi l’on suit avec intérêt la performance d’Andrews, qui ici nous offre un jeu d’un charisme confondant et d’une sobriété bienvenue qui épouse les désirs de réalisme de la réalisation. L’acteur rend son personnage fascinant parce qu’il exprime son ambiguïté, ses doutes et son dilemme moral (fidélité vs. honnêteté) avec un naturel et une empathie qui donnent un inévitable sentiment de déjà-vu, comme si l’on avait à coup sûr déjà un jour croisé la route d’un tel homme.


Canyon Passage, poésie de l’Ouest sauvage 



Un film de Jacques Tourneur (1946), avec Dana Andrews, Susan Hayward et Brian Donlevy.

Ce film est absolument sublime par sa photographie. Les paysages filmés sont de toute beauté, et l’on ne peut après l’avoir vu que rêver de se retrouver dans les forêts de l’Oregon du XIXème siècle.

Mais son autre atout majeur, c’est Dana Andrews. Je l’ai rarement vu aussi charismatique et maître de son sujet. Héritier du cowboy texan par sa dégaine virile, il tient plutôt ici du businessman modèle, et illustre de manière idéale la figure mythique du self-made man américain. Véritable héros de la légende de l’Ouest, bien qu’il ne soit ni pauvre, ni seul (il est même plutôt bien entouré !), son Logan Stuart défend son bien contre les convoitises, son ami contre les vendettas, et ses concitoyens contre les Indiens (qui, il faut le souligner, et même s’ils représentent une menace claire et constante pour les pionniers, ne sont pas diabolisés, ce qui permet de ne pas gâcher l’intérêt que l’on porte au film). Par ailleurs, Andrews, flanqué de l’incontournable Hoagy Carmichael (comme dans The Best Years of Our Lives et Night Song), brille avec les dames, et son alchimie avec la flamboyante et effrontée Susan Hayward, quoique pas aussi bien exploitée qu’elle aurait dû l’être, est manifeste, et ce dès le début du film.


Fallen Angel, la chair et le diable 


Un film d’Otto Preminger (1945), avec Dana Andrews, Linda Darnell et Alice Faye.

L’un de mes films noirs préférés : un clair-obscur très esthétique, une atmosphère de petite ville perdue, avec son « diner » comme principal lieu de vie, un bord de mer désertique. Et Linda Darnell. Référence ultime de la femme fatale fantasmée, brune ténébreuse, aguicheuse, ambitieuse et maudite, son personnage ne peut qu’attirer irrésistiblement Eric Stanton (Dana Andrews), un aventurier fauché qui va se démener pour la séduire, en vain.

Si Fallen Angel est l’un des tours de force d’Andrews, c’est que celui-ci fait de Stanton un anti-héros particulièrement ambigu, prêt à tout par passion pour une femme qu’il vient à peine de rencontrer. Et pourtant, Stanton, aussi impulsif en amour soit-il, est un faux badboy. Andrews sait parfaitement dépeindre des personnages aux dehors un peu bruts mais emplis d’une certaine conception morale qui les pousse à sortir de la nasse vers laquelle le destin semble les amener. Si Stanton tente d’arnaquer une jeune héritière (Alice Faye), c’est pour par la suite être ramené à un cas de conscience qui le fait se dévoiler entièrement. Le vagabond paumé, renvoyé à ses bas instincts par son désir pour une femme, se découvre des qualités insoupçonnées au contact d’une autre. Cette transition est typique du héros andrewsien, un homme « gris » ou tourmenté forcé à dévoiler sa nature profonde. Une trame que l’on retrouve dans beaucoup de films noirs ultérieurs.


Laura, l’ombre est la proie 


Un film d’Otto Preminger (1944), avec Dana Andrews, Gene Tierney, Clifton Webb et Vincent Price.

Quoique le film, que j’aime beaucoup pourtant, m’ait laissé un léger goût d’inachevé de par son scénario, Laura n’en reste pas moins un (quasi) chef d’œuvre, en particulier sur le plan de la maîtrise visuelle du style noir, qu’il contribue largement à créer. Ainsi donc, ce film est esthétiquement incontournable. Ajoutez à cela un couple mythique et vous obtenez une jolie gourmandise toute faite pour le Général Yen. Car oui, j’y reviendrai plus bas dans cet article, mais Laura est le clou de la collaboration Gene Tierney – Dana Andrews, dont l’entente à l’écran a fait les beaux jours du film noir (voir en particulier le très bon When The Sidewalk Ends).

Si je mentionne Laura dans cet article sur Andrews, c’est pour insister sur la contribution fondamentale de l’acteur au genre du film noir. C’est dans Laura, plus que dans tout autre, qu’il fonde sa légende. Détective aux faux airs blasés, qui montrent un homme ayant plus que vécu malgré un physique plutôt avantageux, son Mark McPherson est sur un ring, mais affronte de manière flegmatique les deux prétendants de Laura, jeune beauté présumée assassinée.

Quoique Laura soit le personnage central de l’intrigue, ce sont les hommes qui, par leur regard sur l’héroïne, façonnent notre vision d’elle. Vincent Price, et surtout Clifton Webb, sont brillants dans ce domaine. Mais Andrews fait encore mieux. Sans que son personnage ne connaisse la jeune femme, il parvient, grâce aussi à une ambiance savamment dosée, à rendre crédible et sublime le fait que son personnage tombe sous son charme (tant au sens propre qu’au figuré), rien qu’en regardant son portrait, particulièrement évocateur. Son type de jeu fait de lui l’acteur parfait pour ce rôle. Calme mais bouillant intérieurement, il évoque un romantisme qui aurait été dilué par l’expérience réaliste de la vie. La présence d’une Tierney quasi éthérée parvient à rallumer l’étincelle, et, comme souvent entre eux, leurs jeux de regards sont vraiment fabuleux.


The Best Years of Our Lives, le cauchemar du vétéran


Un film de William Wyler (1946), avec Dana Andrews, Myrna Loy, Teresa Wright et Fredric March.

L’un des plus grands (et émouvants) films américains des années 1940. Le thème du retour des héros après les années de guerre, et le décalage qu’ils ressentent au contact de la société (et de leurs proches) qu’ils trouvent altérée, y est analysé avec une minutie et une profondeur qui touchent au sublime. Of course, c’est un Wyler. Et l’un des meilleurs, objectivement. Qui plus est, Dana Andrews en est l’acteur le plus marquant, encore que le casting soit dans son ensemble d’un haut niveau (Myrna, c’est surtout à toi que je pense. Ok, les autres aussi. Enfin, un peu…).

Fred Derry (Andrews) est sans conteste parmi les trois soldats qui s’en reviennent du front celui qui est le plus intéressant : la guerre a promu cet homme d’origine modeste au grade de capitaine. Il s’est couvert de gloire. Mais sa fiancée l’attend-elle ? Ils se sont mariés juste avant son départ. Le style laconique d’Andrews sied à merveille encore une fois : loin de verser dans le sentimentalisme, l’acteur fait preuve de sang-froid, comme il se doit pour un as de l’aviation. Il laisse l’émotion émerger de son attitude calme et posée. Un voile de tristesse transparait dans ses yeux et sa moue caractéristique, comme toujours, donne à voir un homme sans illusions, lucide, qui craint ce qui l’attend.

Le reste du film est l’occasion pour Andrews de briller par sa présence. William Wyler, encore une fois, sait faire (re)naître les charismes. Et puis, il y a cette scène, la plus belle de toutes. Un champ large, étendu. Des carcasses d’avions à perte de vue. Un homme au milieu d’elles, déambule. Il entre dans l’une des épaves. Dans le nez de l’engin, Fred Derry se remémore ses craintes, le regard fixe, noir. Mais si évocateur. Voilà, tout simplement. Il n’en faut pas beaucoup à l’acteur. Et c’est justement son naturel apparent, cette facilité avec laquelle il incarne ce personnage héroïque, qui font de sa performance un morceau de bravoure.


Les roses et le glaive

Le Thé du Général – Au menu de la pause anglaise (ou chinoise, c’est selon) du Général Yen, les partenaires féminines du sujet de notre article, qui a eu à ma grande jalousie l’heur de partager l’affiche avec des actrices que j’apprécie tout particulièrement. Petit florilège gustatif.


Gene Tierney : arômes subtils en harmonie

Avec cinq films en commun avec l’actrice au charisme glacé, Andrews a eu l’insigne honneur d’être frappé à répétition par la classe et l’élégance de Gene, avec qui il a réussi à former un couple on-screen mémorable. Semblables (calme, froideur) mais complémentaires (virilité et agressivité contenue pour lui, délicatesse pour elle), ils n’ont selon moi jamais été aussi complices dans leur jeu que dans cette scène très travaillée de Laura où il lui débite une rafale de questions inquisitrices en l’aspergeant d’une lumière blafarde, ou peut-être également dans When The Sidewalk Ends, lorsqu’il l’observe, endormie, dans un instant d’une profonde poésie.

Susan Hayward : senteurs corsées en fusion

Quoique ce ne soit pas dans ses deux films avec Andrews qu’elle dégage le plus sa pugnacité et son énergie, Susan est pour moi la partenaire idéale d’Andrews : elle en est même le pendant féminin. Il est donc dommage que leur alchimie n’est pas été mieux exploitée par les studios et les réalisateurs. Si j’ai mentionné la sensualité qu’ils nous offrent dans Canyon Passage, il faut reconnaître que Susan Hayward est bien plus à son avantage dans leur autre collaboration, My Foolish Heart, film où Andrews est malheureusement plus en retrait. Je donnerais d’ailleurs beaucoup pour qu’ils nous aient laissé une œuvre où chacun d’eux est à son meilleur. Il n’empêche, leur langage corporel dans ces deux films donne un aperçu suffisamment élogieux de leur entente pour que je puisse savourer de les voir ensemble à l’écran.

Merle Oberon : subjugué par une robe intense

Cette fois un seul film, Night Song, mais une sublime Merle Oberon qui à chacune de ses apparitions est éblouissante, tout particulièrement dans la deuxième partie où son charme est à son zénith.

Jeanne Crain : des volutes brunes dans l’eau claire

Toujours aussi douce et fraîche, Jeanne Crain est fidèle à son image cinématographique de jeune fille (très) innocente dans State Fair, mais la couleur lui donne ici un éclat inégalé. Jolie romance musicale, quoique pas de quoi donner à mon thé un arôme fabuleux. A l’image du film, leur couple est néanmoins un plaisir pour les yeux.

Teresa Wright : parfum doux pour symbiose absolue

Dans son meilleur film, The Best Years of Our Lives, Dana Andrews est lié à Teresa Wright, dont la ressemblance physique avec la plupart des demoiselles citées est évidemment frappante. Sur le plan du jeu d’actrice, Teresa se rapproche de Jeanne Crain, mais elle est plus subtile et conquérante. Sa détermination la rend à la fois intéressante et séduisante. Et bien sûr, « effet Wyler » oblige, le réalisateur parvient à lui seul à les rendre en symbiose par des tours de magie dont il a le secret.




vendredi 7 août 2015

MEILLEUR FILM 1940

Dernier chapitre de notre trilogie consacrée à l'année 1940. Après les meilleures actrices et les meilleurs acteurs, voici nos choix concernant les meilleurs films...


Cinquième Place

   - Fu Manchu sélectionne… REBECCA d’Alfred Hitchcock

D’autres films auraient pu prétendre à une nomination, mais je porte finalement mon choix sur Rebecca pour la cinquième place de ma liste. Il faut dire que le film est mené de mains de maître, celles d’Hitchcock, qui réussit là ses débuts sur le sol américain. Bien que l’histoire tienne plus du conte gothique (à la base, c’est un roman de Daphne du Maurier) que d’un film à suspense « à la Hitchcock », on se laisse rapidement prendre par l’intrigue dès l’arrivée des deux personnages principaux dans leur manoir de Manderley : vieille demeure isolée du monde et hantée par l’ombre d’une femme (la « Rebecca » du titre…) et de sombres secrets, c’est bien autour d’elle que s’ancre toute l’atmosphère du film. Outre les prestations nominées de Joan Fontaine et Laurence Olivier, on retiendra parmi les personnages secondaires l’excellente Judith Anderson, qui personnifie à merveille la redoutable Mrs Danvers…


   - Général Yen sélectionne… THE MORTAL STORM de Frank Borzage

Parmi une très forte concurrence dans cette catégorie de meilleur film, je sors de la masse cette très belle œuvre de Frank Borzage, qui traite des conséquences de l’arrivée au pouvoir des Nazis en Allemagne, du point de vue d’une petite communauté des Alpes bavaroises. Le titre (« La tempête qui tue » en VF) est sur ce point éloquent.

Au-delà de son impact historique, toujours vivace aujourd’hui (il faut quand même songer que les Etats-Unis n’étaient pas encore entrés en guerre à l’époque), The Mortal Storm est une réalisation d’une grande beauté esthétique, au prologue et à l’épilogue très soignés.

Tous les personnages sont marquants, à commencer par le couple James Stewart / Margaret Sullavan, mais pas seulement : chaque individu est important (c’est d’ailleurs le sens du film, qui dit s’opposer au sacrifice de l’individu au collectif), y compris ceux qui prennent le parti des Nazis. Même si ces derniers sont – forcément – un peu caricaturaux, ils ne sont pas tous foncièrement antipathiques, ce qui rend le film particulièrement puissant : la plupart des personnages sont en fait victimes du nazisme, que ce soit par opposition ou par adhésion à celui-ci... Une œuvre majeure qui mérite d’être redécouverte. 


Quatrième Place

   - Fu Manchu sélectionne… THE GRAPES OF WRATH de John Ford

Un film qui a marqué son époque, et on comprend pourquoi : The Grapes of Wrath (Les Raisins de la colère, en VF), c’est avant tout le récit de l’Amérique profonde des années 30, de la « Grande Dépression » et de la misère qu’elle a engendré. Son impact ne pouvait donc être que considérable, encore aujourd’hui où le film fait figure de « témoin » de son temps, d’autant plus avec une telle qualité de réalisation : il suffit de la première scène, magnifique d’esthétisme et de simplicité (Henry Fonda, petit point humain sur la route désertée…), pour s’en rendre compte. Tous les acteurs sont au diapason d’Henry Fonda, et se fondent parfaitement dans le film en incarnant cette famille de gens simples, honnêtes, sans grande prétention sauf celle d’essayer de survivre dans un monde qui les a oubliés.

Voilà de quoi garantir à The Grapes of Wrath une nomination bien méritée. Malgré toutes ses qualités, il n’est cependant que quatrième, la faute à quelques longueurs et, surtout, à d’autres films qui m’ont plus marqué sur un plan très personnel…

   - Général Yen sélectionne… WATERLOO BRIDGE de Mervyn LeRoy

Un tourbillon émotionnel qui culmine dans des scènes d’une rare intensité. Le scénario a fait le choix du mélodrame, choix rendu magnifique par la mise en scène. Certes, il pleut beaucoup sur Vivien Leigh, mais l’actrice est comme illuminée de l’intérieur. Sa prestation, très émouvante, nous fait presque oublier les inconsistances du dénouement qui, s’il est bien amené, nous semble évitable.


Troisième Place

   - Fu Manchu sélectionne… THE SHOP AROUND THE CORNER d’Ernst Lubitsch

C’est simple, à chaque visionnage, c’est encore meilleur : ce film est tellement subtil que je découvre à chaque fois une réplique à laquelle je n’avais jusque-là pas prêté attention, d’où un plaisir toujours renouvelé. James Stewart et Margaret Sullavan forment un couple toujours très agréable à voir évoluer (et en l’occurrence, à voir se jeter des piques farouchement pendant une bonne partie du film !), et leur alchimie comique fait des étincelles. Le tout est emballé dans un papier cadeau lubitschien teinté (pour nous qui le voyons aujourd’hui) d’une certaine nostalgie, tel un beau conte du passé : à voir et à revoir… et dans mon cas, à nominer !

   - Général Yen sélectionne… HIS GIRL FRIDAY de Howard Hawks

Une merveille de « screwball comedy », qui a du génie en elle. La réalisation est brillante et les choix de Hawks font mouche à tous les étages. Tant le rythme rapide des dialogues que l’écriture de ceux-ci participent au rire, qu’il soit de mot ou de situation. La satire du journalisme est intelligente et fine, puisque malgré leur cynisme, les héros nous sont sympathiques. Une véritable pépite.


Deuxième Place

   - Fu Manchu sélectionne… WATERLOO BRIDGE de Mervyn LeRoy

Ah, j’ai beau me dire que la fin aurait pu être moins « conforme à la morale » (« C’est quoi cette fin ! », me disais-je à l’époque), Waterloo Bridge reste un de mes coups de cœur personnels. Vivien Leigh a fait un bond de géant(e) dans mon estime avec sa performance (oui, bien plus que pour Autant en emporte le Vent), et elle porte le film sans l’aide de personne… Pourtant, l’aide est bien présente : outre un très solide Robert Taylor dans le rôle du compagnon de la Myra de Vivien, le scénario, bien que très classique, renforce un édifice consolidé par une réalisation de qualité, dont la plus belle pierre restera cette fameuse et sublime scènes des retrouvailles de Leigh et Taylor dans Waterloo Station.



   - Général Yen sélectionne… REBECCA d’Alfred Hitchcock

Un de mes Hitchcock préférés. Voilà un film à ambiance comme je les aime, qui traite du pouvoir d’un lieu sur ses habitants. La photographie, qui balance entre gothique et film noir avant l’heure, est superbe. Joan Fontaine a rarement été aussi séduisante et son personnage rayonne dans les ténèbres. Malgré tout, il me manque une petite touche supplémentaire, comme souvent chez Hitchcock, qui a fâcheusement tendance à me laisser sur ma faim. 


Première Place

   - Fu Manchu sélectionne… THE GREAT DICTATOR de Charlie Chaplin

Comme du côté des acteurs, Chaplin reste pour moi indépassable cette année dans la catégorie du meilleur film. Plus je le revoie, et plus mon avis est tranché : The Great Dictator a quelque chose en plus. Il y a une certaine magie dans la performance de Chaplin, dans le scénario, dans ces scènes qui nous font rire, nous émeuvent, ou nous rappellent à quel point le film est avant tout une dénonciation de la dictature nazie. C’est aussi cela qui est si impressionnant dans Le Dictateur : Chaplin a réussi, de main de maître, à associer le burlesque de son personnage de Charlot (ici, le Barbier) avec des passages à l’intonation plus dramatique (les persécutions des juifs du ghetto), voire même à fusionner les deux en rendant Hynkel à la fois menaçant et drôle. Enfin, si Chaplin est omniprésent dans ce film, un petit mot pour Paulette Goddard, une actrice que j’aime beaucoup et qui apporte sa touche de charme au film dans le rôle d’Hannah – un personnage très humain qui permet une vraie identification du spectateur, par opposition à un Barbier très ancré dans la mythologie comique chaplinienne.


   - Général Yen sélectionne… THE SHOP AROUND THE CORNER d’Ernst Lubitsch

Un vrai petit chef d’œuvre, que je récompense en premier lieu pour son atmosphère désuète et nostalgique si réussie du Vieux Budapest. Le scénario est absolument brillant, puisqu’il fait s’enchevêtrer plusieurs trames. Quant aux acteurs, leur alchimie semble si facile qu’on oublierait presque l’effort de composition qu’ils font pour rentrer dans le moule de ce petit rêve lubitschien à la saveur d’antan. Mention spéciale aux seconds rôles (je pense surtout à « Pepi » et « Mr. Matuschek »), qui ajoutent une délicieuse cerise comique. Et de toute façon : Lubitsch est un génie, ce film n'en est qu'une preuve de plus...



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