lundi 2 mars 2015

WATERLOO BRIDGE – 1931 vs. 1940


Il s'agit d'un article un peu spécial aujourd’hui, puisque nous allons parler non pas d’un film, mais de deux : deux versions de la même histoire, Waterloo Bridge, qui a donné un premier film en 1931, puis un remake en 1940, également intitulé Waterloo Bridge – distinct du premier par son titre francophone qui n’appartient qu’à lui : La Valse dans l’ombre.

Ayant vu et beaucoup apprécié les deux versions, faire un article commun me permettra d’évoquer les deux films ensemble et d’établir des points de comparaison plus facilement. L’intrigue, en effet, est globalement semblable : un soldat tombe amoureux d’une jeune femme qui, elle-même sensible à ses charmes, va s’efforcer de lui cacher qu’elle est en réalité une prostituée.
Il va sans dire que tout, dans cette histoire est propice au bon mélodrame : un amour impossible, une différence de classes sociales, une jeune femme à la personnalité complexe et torturée… La façon de transposer cette histoire en film va cependant prendre deux chemins assez différents, comme nous allons le voir sans plus tarder.

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Waterloo Bridge (1931)

Réalisation : James Whale
Société de production : Universal Pictures
Durée : 81 minutes
Date de sortie : 1er septembre 1931 (USA)
Casting :
Mae Clarke : Myra Deauville
Douglass Montgomery : Roy Cronin
Doris Lloyd : Kitty
Frederick Kerr : Major Fred Wetherby
Enid Bennett : Mary Cronin Wetherby



Dans cette première version de 1931, la première chose à remarquer est que, contrairement à ce que fera la version postérieure, l’intrigue reste très linéaire et ne s’embarque pas dans des détails superflus. Une courte introduction nous présente l’héroïne, Myra, jeune danseuse de cabaret, puis l’on se retrouve directement deux ans plus tard, à la situation qui nous intéresse : le film nous fait alors comprendre que, en difficulté financière et sans emploi, Myra est tombée dans la prostitution pour s’en sortir. Elle rencontre alors Roy, jeune soldat naïf qui, loin de se rendre compte à qui il a affaire, tombe sous son charme. Toute la difficulté pour Myra, peu à peu séduite à son tour, va être de cacher sa condition à Roy, et de faire face à ses démons intérieurs : ne pouvant pas le garder sans lui mentir, elle ne peut non plus tout lui avouer sans le perdre pour toujours…

Dès les premières scènes, une atmosphère typiquement pré-code nous entoure et nous emporte dans un monde qui nous apparait vivant et coloré : celui des danseuses de cabaret, de leur vestiaire rempli d’excitation, de joie de vivre et des présents de leurs soupirants. Pourquoi est-ce pré-code ? Regardez la version de 1940, et vous ne verrez pas tout à fait la même proportion de jambes, bras et autres épaules à découvert, code Hays et morale conservatrice obligent… Cela donne en tout cas au film un côté résolument moderne et, sans doute, lui apporte une dose de réalisme en le rendant moins conventionnel, moins édulcoré. Les mœurs semble-t-il très libérées des danseuses donnent de fait beaucoup plus de crédibilité au choix désespéré de Myra et des plus démunies d’entre elles, et l’ambiance pré-code de Waterloo Bridge colle ainsi parfaitement à l’intrigue – et ce, tout au long du film, par l’intermédiaire notamment de son actrice principale.

"should have known a decent girl when I saw one"
"You’ve never been around with girls much, have you ?"

Principal atout de la version de 1931, Mae Clarke porte à bout de bras le film à travers son interprétation du personnage de Myra. Donnant à celle-ci un caractère foncièrement sympathique, enjoué et provocateur, elle reste extrêmement crédible dans les parties plus dramatiques, tout en maturité et en émotion contenue, tellement naturelle que l’on ne peut qu’accrocher à son personnage.
Le reste du casting est bon également, y compris Douglass Montgomery dans le rôle de Roy. Cependant, s’il joue bien le jeune homme innocent et idéaliste, celui-ci souffre quelque peu de la comparaison avec une héroïne aussi pleine de caractère et de charisme que la Myra de Mae Clarke. Le problème qui survient va donc être celui de la crédibilité d’une telle relation, car s’il est cohérent que Roy tombe sous le charme de Myra, l’inverse semble plus improbable.



Enfin, je suis obligé de revenir sur un gros point noir, qui dure certes quelques millisecondes mais  que je n’avais pas vu venir, d’où ma frustration : la fin. Pourtant je connaissais l’histoire et savais comment cela allait finir, mais… certainement pas comme ça… Ah, et ils nous le montrent bien, ce maudit zeppelin, en plus !!! Bref, cela ne remet cependant pas en cause la qualité globale du film, qui reste l’un de mes films préférés et fait véritablement de l’année 1931 une « annus mirabilis » pour moi (avec entre autres Platinum Blonde, The Miracle Woman ou encore Les lumières de la ville).


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Waterloo Bridge (1940)

Titre français : La Valse dans l’ombre
Réalisation : Mervyn LeRoy
Société de production : Metro-Goldwyn-Mayer
Durée : 108 minutes
Date de sortie : 17 mai 1940 (USA)
Casting :
Vivien Leigh : Myra
Robert Taylor : Roy Cronin
Lucile Watson : Lady Margaret Cronin
Virginia Field : Kitty



Premier point de divergence avec sa version antérieure, le Waterloo Bridge de 1940 diffère de par sa structure et son intrigue même : l’histoire commence en 1939, à l’aube de la seconde guerre mondiale, et voit Roy, seul sur Waterloo Bridge, ressasser ses souvenirs passés. C’est donc à l’aide d’un flashback au cœur de la mémoire de Roy que l’on va être immergé dans l’intrigue, ce qui donne d’emblée beaucoup plus d’importance au personnage masculin.
D’autre part, la rencontre entre Roy et Myra se déroule alors que celle-ci est encore danseuse : ce n’est qu’après le départ de Roy pour la guerre (la première guerre mondiale) qu’elle tombera dans la misère et en sera réduite à la prostitution. Cela permet ainsi d’évoquer beaucoup plus longuement la romance naissante entre les deux héros, et ce sous un jour très positif, finalement assez classique. Mais surtout, cela rend l’histoire d’amour beaucoup plus « morale » puisque débutée alors que Myra n’était pas encore prostituée. Roy est donc comme dédouané de ce qui va suivre, et Myra devient un personnage à la destinée classiquement tragique.

De l'expressivité de Vivien Leigh...
Cette intrigue particulière, divisée en plusieurs parties, donne en tout cas l’occasion à Vivien Leigh de retrouver, un an après Autant en emporte le Vent, un rôle à sa mesure. Si le déroulement du film s’inscrit dans la lignée des mélodrames de l’époque (Mervyn LeRoy réalisera deux ans plus tard l’excellent Random Harvest), et si le glamour de l’atmosphère donne une impression un peu trop édulcorée (on parle de prostitution, que diable !), l’écrin est parfait pour que Vivien donne son meilleur. Celle-ci peut, en effet, travailler à merveille son personnage : gaie, enjouée, heureuse de vivre dans un premier temps, elle rappelle l’insouciante Scarlett O’Hara, avec son port altier et l’insouciance de celle qui croque dans la vie à pleines dents. Elle rend ensuite magnifiquement bien l’âme torturée qu’est devenue Myra, touchante, vulnérable et sans grand espoir sur le sort que le futur lui réserve.
Surtout, constamment mise en valeur par la réalisation, Vivien peut montrer l’expressivité fabuleuse de son regard dans de nombreuses scènes clés. Dans l’une d’entre elles, jeune femme amoureuse, elle aperçoit Roy au travers de sa vitre battue par la pluie, et esquisse un étonnement béat suivi de l’excitation la plus intense. Dans une autre, l’une des plus belles scènes de tous les temps (oh que oui !), elle erre, prostituée allant au-devant des soldats sur les quais de Waterloo Station. Soudain son regard, morne et désabusé, fixé sur la caméra, laisse place à la surprise la plus absolue mêlée d’effroi, alors que l’on ne devine que trop bien qui est l’objet d’une telle stupeur, marchant à sa rencontre…



L’interprétation par Robert Taylor du personnage de Roy est également, à mon sens, très réussie. Homme charismatique, il suscite la sympathie et le respect, sentiments encore renforcés par l’uniforme qu’il porte. L’admiration que lui voue Myra n’en est alors que plus crédible, d’autant qu’elle le rencontre alors qu’elle n’est que jeune danseuse, n’ayant pas encore expérimenté toutes les difficultés qu’elle vivra par la suite. Leur histoire d’amour n’en est que plus solide, et cela permet également au remake de s’écarter de l’intrigue de 1931, ce qui est toujours plus intéressant et apporte une vraie valeur ajoutée.



Plus long que son prédécesseur, Waterloo Bridge version 1940 est cependant un peu trop cliché dans son classicisme mélodramatique, et n’échappe pas à certaines longueurs qui auraient pu être évitées. Il n’en reste pas moins excellent sur certaines scènes et très solide dans son ensemble, notamment grâce aux performances des acteurs et à la réalisation de Mervyn LeRoy.
Un dernier mot sur la musique, qui est par moments absolument sublime : mention spéciale à ce thème qui accompagne la Myra prostituée, et ses notes hispanisantes peu à peu teintées du son du violon lancinant qui nous emporte dans son tourbillon mélodramatique, avant que ne résonnent les cors, pareils au glas annonçant le sombre destin de l'héroïne...


***


Conclusion

Au final, les deux versions de Waterloo Bridge, quoique différentes, sont excellentes et peuvent revendiquer une très bonne place dans mon panthéon personnel. Si dans les deux cas, Mae Clarke comme Vivien Leigh livrent une très grande performance, les atmosphères comme les scénarios des deux films leur donnent leur originalité et façonnent ce qui se révèle être leur identité propre.

Et pour finir, voici les principaux points de comparaison :

Version de 1931                                             Version de 1940

Points forts                                                      Points forts                                              
Mae Clarke ! +++                                             LA scène culte par excellence ++    
Ambiance pré-code ++                                     Vivien Leigh & Robert Taylor ++    
Intrigue très prenante +                                   Bonne maîtrise globale de la réalisation + 
                                
Points faibles                                                   Points faibles                                              
Un Roy un peu tendre -                                    Classicisme de l’intrigue et longueurs -- 
La fin ! -                   


NOTES :
Waterloo Bridge, version 1931 : 8,5
Waterloo Bridge, version 1940 : 8,5



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