dimanche 28 février 2016

SUSAN HAYWARD, PARTIE 1 : LES QUARANTIEMES ROUSSOYANTS


L’honorable Docteur ne s’en déplaise, j’ai moi aussi mes favorites rousses, et la flamboyante Susan Hayward (1917-1975) est de celles-là. Etant bien plus porté sur la décennie 1940 que la suivante, qui est pourtant celle de sa consécration, j’ai eu le plaisir de trouver dans ses jeunes années des performances absolument réjouissantes, qui ont fait bondir en peu de temps mon estime pour elle. Alors avant de me plonger un peu plus en avant dans les 1950s, voici quelques-unes des plus belles perles des années 40 de Susan Hayward.


Smash-Up: The Story of a Woman, un film de perdu, une Susan de trouvée


VF : Une vie perdue. Un film de Stuart Heisler (1947), avec Susan Hayward, Lee Bowman, Eddie Albert et Marsha Hunt.

L’histoire : Une chanteuse prometteuse interrompt sa carrière pour se consacrer à son mariage. Tandis que son époux devient célèbre, elle se morfond et sombre dans l’alcoolisme.

C’est peu dire que ce type de film n’est pas du tout mon genre favori. Le récit d’une déchéance devient ennuyeux quand la réalisation n’est pas au rendez-vous.  Or rien de bien enthousiasmant tant au niveau visuel qu’au niveau de l’atmosphère du film (on est loin de l'esthétique du film noir), et l’histoire est bien trop statique. Sauf que… Le film est littéralement sauvé par son actrice principale, au point que l'on peut se demander s’il n’était pas voué uniquement à lui laisser le champ libre pour donner sa performance.

Car il s’agit bien de ça : on ne voit qu’elle, on n’entend qu’elle et forcément, on ne retient qu’elle. La quantité de gros plans sur son visage est assez impressionnant, et reconnaissons que ça vaut le coup : tout l’intérêt du film est contenu dans ses traits, d’une grande expressivité. L’actrice passe par toutes les émotions possibles, distribuées les unes après les autres en un crescendo prévisible mais maîtrisé. Elle parvient même à éviter l’écueil principal de ce type de performance, à savoir en faire trop : quitte à être explosive, autant le faire subtilement, et donc le réserver pour les scènes d’alcoolisme, qui sont à ma grande surprise ses plus touchantes (ce n’est pas vraiment ma tasse de thé, parole de Général). Probablement parce qu’elle ne se départit jamais d’une forme de sincérité, qui la rend belle dans ses moments les plus laids. Et ça, c’est la preuve d’une grande classe.


The Lost Moment, la prisonnière du passé


Un film de Martin Gabel (1947), avec Susan Hayward, Robert Cummings et Agnes Moorehead.

L’histoire : A Venise, un éditeur s’immisce dans la vie et la maison d’une très vieille dame dans l’espoir de mettre la main sur les lettres de son amant d’antan, un célèbre poète. Il se heurte à la méfiance de son austère nièce, Tina.

The Lost Moment possède une atmosphère comme je les aime, légèrement surannée, qui n’est pas sans rappeler Gaslight ou Rebecca. Le moment où le héros entre dans cette demeure qui semble sortie du passé, il semble comme piégé par le temps, et le film joue de cette perte de repères entre réalité et fantasme, voire fantastique.

Le personnage de Susan, Tina, incarne cette dualité, puisque la jeune femme guindée, vêtue de noir, le regard foudroyant, véritable Cerbère de ces lieux, se révèle aussi parfois, la nuit, sous un tout autre jour, ses boucles détachées et sa verve devenue toute passionnée. Le contraste entre ces deux facettes est désarmant, d’autant qu’elle joue les deux avec un certain calme qui ne lui est pas coutumier. Tout est dans la voix et surtout le regard, véritable vecteur des émotions de l’actrice vers son public, en harmonie avec l’ambiance du moment, tantôt menaçant et tantôt envoûtant. En somme, une performance qui gagne à être connue.


House of Strangers, explosion à l’italienne


VF : La maison des étrangers. Un film de Joseph L. Mankiewicz (1949), avec Susan Hayward, Richard Conte et Edward G. Robinson.

L’histoire : A sa sortie de prison, Max Monetti entend bien se venger de ses frères, qui ont trahi son père. Il se remémore les événements qui ont conduit à la chute de ce dernier, un banquier tyrannique et tout-puissant.

Ce film possède l’odeur singulière de la Little Italy, dont la famille Monetti est ici le témoignage quasi pittoresque. A sa tête, Gino le patriarche (un Edward G. Robinson époustouflant), mi banquier, mi parrain. Aux côtés de celui-ci, ses fils, et en particulier Max, son préféré (Richard Conte) : un avocat peu scrupuleux, intelligent, dur et charismatique. C’est dans cet univers viril et machiste que Susan va s’imposer. On comprendra donc d’autant plus le choc ressenti...

Car oui, véritable boule d’énergie, Susan Hayward se hisse dès sa première apparition au niveau d’un Conte pourtant à son sommet dans le rôle principal. Elle fait de ce qui aurait pu être un second rôle un petit chef d’œuvre de performance, qui, sans être le maillon essentiel du film, l’enrichit grandement. Le contraste avec Jean Peters, que pourtant j’apprécie, dans le (bon) remake façon western The Broken Lance (avec Spencer Tracy), en atteste. Il faut bien dire que le charisme de la demoiselle est peut-être déjà à son apogée, tant sa classe physique, sa présence ferme et son caractère un peu mutin (les caractéristiques que j’aime chez elle) sont déployés à la perfection. L’alchimie avec Conte est indéniable et procure des moments savoureux, d’autant qu’elle étale face à lui toute sa sensualité pour le séduire. L’actrice est à son zénith, clairement.

Et aussi…


- Canyon Passage (1946), de Jacques Tourneur, avec Dana Andrews : un second rôle flamboyant pour une Susan énergique et mise en valeur par la photographie d’un film haut en couleurs. Une bonne alchimie avec Dana Andrews, qui tient sans conteste le film à lui tout seul.

- Tap Roots (1948), de George Marshall, avec Van Heflin : là encore la couleur sublime sa beauté rousse, mais avec cette fois un premier rôle à la clef. Sa vigueur et son charme tantôt classe, tantôt sensuel, font de son portrait d’une jeune Southern Belle le principal attrait d’un film bien réalisé mais au scénario quelque peu inégal.

- My Foolish Heart (1949), de Mark Robson, avec Dana Andrews : Susan domine complètement son sujet dans un film de qualité mais qui tombe dans l’écueil du mélodrame romantique un peu simpliste et naïf. Il n’empêche que voir Susan Hayward et Dana Andrews ensemble est un immense plaisir, et que l’actrice y est débordante d’une émotion joliment contenue.