jeudi 31 mars 2016

MERLE OBERON, LA PERLE DE L’EMPIRE


Continuons la revue de mes actrices fétiches, avec cette fois-ci comme un parfum d’exotisme. Merle Oberon, née Estelle Merle O’Brien Thompson (1911-1979), a hérité de ses origines anglo-indiennes la classe d’une lady et la majesté d’une maharani. Soucieuse d’échapper au sort de bon nombre d’actrices cantonnées à des rôles « ethniques », elle s’est fait fort d’incarner des figures toutes britanniques, dont une reine d’Angleterre et une héroïne de la littérature victorienne. Dotée d’une fabuleuse présence à l’écran, Merle s’est particulièrement distinguée dans des rôles à forte charge émotionnelle, alliant l’intensité d’un charisme physique à un pouvoir de séduction unique dans le cinéma d’alors.


These Three, le Paradis perdu


VF : Ils étaient trois. Un film de William Wyler (1936), avec Merle Oberon, Miriam Hopkins et Joel McCrea.

L’histoire : Martha et Karen, deux jeunes femmes récemment diplômées, fondent une école pour filles dans une petite ville. Le trio qu’elles forment avec le séduisant Dr. Joe Cardin prospère en parfaite harmonie jusqu’à ce que le mensonge d’une élève transforme leur paradis en enfer.

Pendant longtemps, je l’ai cherché en vain. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’attente valait la peine. Forcément, imaginez donc : un Wyler avec au casting Merle Oberon et Miriam Hopkins ! These Three présente en outre une intrigue bien charpentée, construite d’une part sur les relations entre les personnages du trio, et d’autre part autour des conséquences des manigances d’une élève (jouée par une Bonita Granville délicieusement peste). Même si la pièce sur laquelle le film est basé ajoute une dimension homosexuelle, la trame choisie par les scénaristes reste suffisamment pertinente pour se concentrer sur l’essentiel : comment vont réagir trois personnes en symbiose parfaite quand leur monde s’écroule à cause d’une injustice. Le thème de la rumeur dévastatrice est extrêmement puissant et le film en explore plusieurs facettes.

William Wyler, encore à ses débuts, vient alors de réaliser The Good Fairy (1935), avec Margaret Sullavan, où déjà, mais dans un registre comique, la réalisation s’efforce de mettre en relief l’âme des personnages. C’est encore le cas dans These Three, où la mise en scène rassurante d’un apparent bien-être ne fait que mieux ressortir, par contraste, les émotions violentes que subissent les personnages par la suite. 

L’alchimie à l’écran entre Merle, Miriam et Joel McCrea est évidente. Et en particulier, Merle et Miriam sont parfaites pour rendre compte de l’amitié profonde de ces deux jeunes femmes. Leur jeu est un ballet fait de regards, de sourires et surtout de gestes – le simple toucher de doigts révèle une émotion. Le film bénéficie grandement d'avoir deux interprètes féminines à ce niveau d'expressivité et de sensibilité.


Wuthering Heights, la fougue des maudits


VF : Les Hauts de Hurlevent. Un film de William Wyler (1939), avec Merle Oberon, Laurence Olivier, David Niven et Geraldine Fitzgerald.

L’histoire : Elevé par le maître du manoir des Hauts de Hurlevent, Heathcliff, un enfant des rues, subit la haine du fils de son sauveur, Hindley, tout en nouant des liens profonds avec sa fille, Cathy. Après s’être longtemps absenté, Heathcliff retrouve une Cathy tiraillée entre des désirs contraires.

Je vous renvoie ici à cet article bien plus détaillé sur le film. Encore un Wyler, et des meilleurs, qui plus est concocté autour d’une histoire adaptée d’un des fleurons de la littérature anglaise. Outre la réalisation, géniale par son style visuellement « romantique », voire gothique (merci Gregg Toland), la cerise sur le pudding est notre Merle : dans une forme oscarienne, elle pulvérise l’écran d’un charisme ténébreux, joute allègrement avec Laurence Olivier et compose un personnage comme rarement elle l’a fait. Sa Cathy est si agaçante et si attachante à la fois qu’on ne peut l’oublier. Si ça ne tenait qu’à moi, 1939 aurait vu une petite statuette changer de mains.


Lydia, marivaudage à quatre temps


Un film de Julien Duvivier (1941), avec Merle Oberon, Joseph Cotten, Alan Marshal et Edna May Oliver.

L’histoire : Lydia McMillan, une vieille dame célibataire qui a voué sa vie entière à des causes philanthropiques, est invitée par un ancien prétendant à retrouver les hommes qui ont compté dans sa jeunesse, et à se souvenir avec eux de leurs rendez-vous manqués.

Ah !, Lydia. Ce n’est certainement pas le meilleur film de Merle, puisqu'il se perd parfois dans le plus pur style mélodramatique larmoyant et franchement sentimental. Mais il vaut le détour. Car oui, vous tous désormais quasi amoureux de Merle, voici le film fait pour elle, qui vaut (principalement) pour elle, et dans lequel elle s’évertue à montrer toute sa panoplie d’actrice.

Lydia est le personnage « à la Merle », mais en puissance mille : une jeune fille bien née, gâtée, courtisée par tous les hommes du monde (au moins quatre ; mais ça me semble bien trop peu…), qui rêve de son prince charmant et enjolive ce qui lui arrive, mais doit se faire à la réalité (ou au destin, c’est selon). On y retrouve pêle-mêle des éléments d’interprétation de tous ses films un tant soit peu mélodramatiques (c’est-à-dire la plupart), de Wuthering Heigths (la jeune femme mi-rêveuse, mi-capricieuse) à These Three (la joie de vivre, la jeune femme amoureuse, les scènes de larmes) en passant par The Scarlet Pimpernel (les airs de grande dame, les expressions de surprise).

Le résultat va du moins bon (des mines trop exagérées, quelques gamineries, parfois justifiées mais peu crédibles) à l’excellent (ses scènes en vieille dame – qui réussissent bien à d’autres actrices, Madeleine Carroll et Barbara Stanwyck m’en sont témoins – et les tête-à-tête avec Joseph Cotten). Ajoutez à cela une photographie contrastée comme je les aime, une alternance entre flashbacks et scènes du présent bien réussie, et évidemment une Merle au sommet de sa beauté (je ne le nie pas, ça compte : elle ensorcèle la caméra). On obtient un joli film, sans prétention (la version française du même Duvivier serait parait-il plus profonde, à vérifier), que tout fan de Merle Oberon se doit de voir en ce qu’il la montre dans son entièreté, dans ses moments de grâce comme dans son habituelle tendance à surjouer ses moments candides ou larmoyants.


Night Song, symphonie en aveugle


VF : La chanson des ténèbres. Un film de John Cromwell (1947), avec Merle Oberon, Dana Andrews et Ethel Barrymore.

L’histoire : Cathy Mallory, une élégante mondaine, s’éprend d’un pianiste aveugle, doué mais tourmenté. Pour gagner sa confiance, elle décide de se faire passer elle-même pour une aveugle.

Là encore, Night Song est un film très mélodramatique. Mais malgré quelques longueurs, j’aime ce film. Pour commencer, son objet : dépeindre une dame qui tente de se faire passer pour non voyante pour amadouer un pianiste aveugle, voilà qui me plaît. Qui plus est, ce pianiste un peu bourru est joué par Dana Andrews, suivi comme son ombre par son acolyte Hoagy Carmichael (il y a dans l'air un je ne sais quoi de The Best Years of Our Lives).

C’est dans ce film que Merle réussit l'un de ses plus éblouissants morceaux de bravoure, puisqu'elle fait le film à elle seule. Elle semble comme compenser la cécité du personnage d’Andrews par un regain de sensualité, toute à son entreprise de séduction. Dans un film où le quiproquo est tissé dans de la dentelle, Merle rayonne comme jamais et ajoute de la subtilité à un scénario qui en manquait par son jeu tout en retenue. Ou quand la classe s’allie à la beauté.


Et aussi…

- The Scarlet Pimpernel (1934), de Harold Young, avec Leslie Howard : entre charme mondain et frivolité d'apparat, une Merle pleine de classe aristocratique dans ce film de cape et d’épée empreint d’humour britannique, survolé par un Leslie Howard en gentleman vengeur au sommet de sa forme.

- The Dark Angel (1935), de Sidney Franklin, avec Fredric March et Herbert Marshall : un très joli film porté par un génial Fredric March. Merle surjoue parfois, mais livre une prestation ravissante et d’une grande sensibilité pour l’un de ses premiers rôles d’importance. Le film par lequel je l'ai découverte. 

- The Lodger (1944), de John Brahm, avec Laird Cregar et George Sanders : un second rôle, mais quel rôle ! Voici Merle en mode jolie demoiselle en détresse alors que Jack l’Eventreur terrorise Londres. Ce film n’est pas loin du chef d’œuvre, en particulier pour sa qualité cinématographique et un Laird Cregar époustouflant.