mardi 21 février 2017

TOP 5 : REALISATEURS DE L’AGE D’OR


Dégustant son thé vert citron d’une main, le Général Yen manie sa « plume » de l’autre pour porter son regard acéré sur les quelque cent cinquante cinéastes figurant sur sa liste. Nombreux sont les Grands et la lutte est rude, et le soleil a disparu de l’horizon lorsque son choix se porte finalement sur cinq noms, dont chacun mérite sa place au panthéon des réalisateurs. Et voici pourquoi.


N°5 : Alfred Hitchcock, maître de l’ombre


Hitchcock est le Maître, cela va sans dire, mais de là à le faire figurer dans mes cinq ? Ce n’était pas évident pour moi, d’autant qu’il n’a pas son pareil pour me frustrer, en particulier avec des fins abruptes et pas toujours satisfaisantes dans le feu du moment. Mais voilà, il me suffit de ne jeter qu’un seul coup d’œil à mes notes pour me rendre compte que quasiment tous ses films sont bons, et une majorité sont excellents. Même s’il m’a souvent manqué un « petit quelque chose en plus », ses films des années 30 (période britannique parlante) et années 40 (débuts américains), à savoir mon ère de prédilection, forment un tout qui fait figure de référence.

Le style de Hitchcock : en me limitant aux années 30 et 40, que je connais mieux, on retrouve chez le cinéaste britannique une véritable marque de fabrique. Si le suspense n’est pas encore aussi abouti que quelques années plus tard, Hitchcock est à la foi novateur et ancré dans son époque : j’ai un coup de cœur pour l’atmosphère très anglaise de The 39 Steps ou The Lady Vanishes, tandis que ses premiers films américains sont des précurseurs du film noir.

« Revue générale » : A l’exception notable d’Ingrid Bergman, qui possède un charisme quasiment physique, j’ai souvent eu l’impression que les premiers rôles féminins étaient un peu fades chez Hitchcock. Probablement à cause de la propension de celui-ci à dépeindre des blondes froides, distantes et en danger permanent. Même les stars masculines qui se succèdent ne me paraissent pas si transcendantes ! Il faut dire que tous ces personnages semblent souvent les jouets du destin, alias Hitchcock lui-même, et cela valorise évidemment ses films. Et puis, il sait mettre en valeur les beautés féminines, de Madeleine Carroll à Kim Novak en passant par Margaret Lockwood. Alors...

« Décorations »

Au terme de sa revue, le Général Yen honore les trois meilleurs films du réalisateur…

Ordre du Général : Rebecca (1940). Peut-être le plus beau film de Hitchcock, esthétiquement parlant ; l’ambiance gothique oppressante et mystérieuse, matérialisée par le manoir et une gouvernante inquiétante, semble vouloir comme avaler une Joan Fontaine scintillante.

Croix de Yen, 1ère classe : Shadow of a Doubt (1943). Celui-ci est peut-être le plus abouti, sur sa forme comme sur le fond, et je n’ai pas grand-chose à redire à cette petite merveille de huis-clos familial dans une petite ville provinciale. A noter, l’un des meilleurs rôles de la jeune Teresa Wright.

Croix de Yen, 2ème classe :  Spellbound (1945). Un thriller psychanalytique profond, intéressant et rondement mené, dominé par une Ingrid Bergman en forme en doctoresse inquisitrice.


N°4 : Preston Sturges, génie de la plume


J’ai beaucoup d’admiration pour Sturges, et même s’il s’agit de celui des cinq dont j’ai vu le moins de films, son talent inimitable d’écriture (des scénarios et des dialogues) et son esprit doué pour un humour fin et rempli de références en font l’un des cinéastes les plus brillants de l’Âge d’or.

Le style de Sturges : scénariste à succès devenu réalisateur génial, Sturges n’a pas son pareil pour concocter des comédies hilarantes, en créant une sorte de cinéma post- « screwball comedies » (comédies loufoques), renouvelant un genre qui a eu son heure de gloire à la fin des années 30.

« Revue générale » : Sturges met en valeur ses acteurs, tenez-le-vous pour dit. Car oui : il a réussi à me faire apprécier Joel McCrea (Sullivan’s Travels). Joel McCrea ! De même, Eddie Bracken parait être un génie comique dans Hail the Conquering Hero. Quant à Barbara Stanwyck, elle a rarement été aussi brillante que dans The Lady Eve… Mais ça, ce n’est pas une surprise !

« Décorations » 

Au terme de sa revue, le Général Yen honore les trois meilleurs films du réalisateur…

Ordre du Général : The Lady Eve (1941). Parodie complexe du mythe biblique d’Adam et Eve, ce film permet à Sturges de faire preuve de toute sa subtilité légendaire. Les références sont nombreuses, l’humour caustique est dégainé avec charisme par Barbara Stanwyck et l’ensemble est une grande réussite.

Croix de Yen, 1ère classe : Hail the Conquering Hero (1944). Moins fin que le précédent, mais encore plus drôle, celui-ci valorise le comique de situation en mettant en scène un anti-héros qui devient à son corps défendant la coqueluche de sa ville natale.

Croix de Yen, 2ème classe : Sullivan’s Travels (1941). La référence est cette fois dirigée vers Gulliver, et le registre est légèrement différent puisque s’il s’agit bien d’une comédie, on glisse ici vers la satire sociale. McCrea est brillant et Veronica Lake captivante dès qu’elle apparaît à l’écran.


N°3 : Rouben Mamoulian, virtuose visionnaire


Contrairement à Sturges, Rouben Mamoulian brille moins par ses scénarios que par son prodigieux sens de l’art de la mise en scène, surtout si l’on considère l’époque de ses plus grands films : le tout début de l’ère du cinéma parlant, les années 31-33, une époque où les réalisateurs tentaient plus d’apprivoiser le son et d’intégrer des dialogues à leurs films que d’innover en matière d’image. Quand l’on voit que certains de ses films font encore figure de références aujourd’hui, on ne peut que constater l’avance qu’avait ce cinéaste sur son temps.

Le style de Mamoulian : touche à tout, Mamoulian a brillé aussi bien dans la comédie musicale que dans le drame historique ou le fantastique. Fort pour rendre son sujet divertissant, il n’hésite pas à user de sa caméra de diverses manières pour proposer plans suggestifs (« la scène de la jambe » de Miriam Hopkins dans Dr. Jekyll and Mr. Hyde), comiques (la poursuite du faon dans Love Me Tonight) ou énergiques (le plan sur les roues du train dans le finale de Love Me Tonight, l’entrée en scène de Garbo dans Queen Christina).

« Revue générale » : Avec lui, les acteurs sont à la fête. Difficile de ne pas être conquis par Greta Garbo dans Queen Christina ou Fredric March dans Dr. Jekyll and Mr. Hyde. Même les seconds rôles sont à la fête malgré un temps d’écran limité, comme les séduisantes Miriam Hopkins dans Dr. Jekyll et Myrna Loy dans Love Me Tonight.

« Décorations » 

Au terme de sa revue, le Général Yen honore les trois meilleurs films du réalisateur…

Ordre du Général : Love Me Tonight (1932). Comédie musicale fabuleuse, remplie d’astuces techniques provoquant effets comiques ou accélérant le rythme, ce film atteint des sommets.

Croix de Yen, 1ère classe : Queen Christina (1933). La meilleure prestation de Garbo, ce qui suffit à en faire un mythe. Mais il est bien plus que cela avec son grandiose et son délicieux arrière-goût scandinave.

Croix de Yen, 2ème classe :  Dr. Jekyll and Mr. Hyde (1931). Les effets "d'horreur", en particulier le maquillage de Hyde, ont vieilli, mais le tout reste encore aujourd’hui saisissant. L’atmosphère très sombre est finement travaillée et a des références bien européennes…


N°2 : Ernst Lubitsch, prince du raffinement


Il aurait pu être premier. Et il s’en faut de peu. Mais Ernst Lubitsch, l’Allemand à l’œil rieur, n’en reste pas moins pour moi l’un de ces merveilleux conteurs qui jongle avec adresse entre senteurs d’autrefois et audace d’avant-garde. Roi des sous-entendus cachés dans sa mise en scène, ses fameux clins d’œil, Lubitsch m’avait étonnamment laissé de marbre au départ, son univers me paraissant trop froid. Et puis ce fut le déclic : la subtilité de son humour, qui imprègne les dialogues de ses films, n’a d’égale que la subtilité de sa réalisation, où tout semble avoir un sens, une place, pour concourir à l’excellence et laisser une impression de perfection.

Le style de Lubitsch : dans la mise en scène, une opposition de style frappe : intérieurs souvent modernes, anguleux et hauts de plafond, mais extérieurs traditionnels, de carte postale, qu’il s’agisse de Paris, capitale du raffinement chez Lubitsch, de Venise ou de la campagne anglaise. On remarquera une prédilection pour les milieux aristocratiques ou bourgeois, qui sont à la fois objet de désir et de satire : la comédie, qu’elle soit musicale, romantique ou satirique, est reine chez l’Allemand.

« Revue générale » : Tout pour les actrices, ou presque ! Les dames sont chouchoutées, et je dois en grande partie à Lubitsch mon attachement pour Jeanette MacDonald, Margaret Sullavan, Kay Francis et Miriam Hopkins… Côté acteurs, Maurice Chevalier est immanquable dans toutes les comédies musicales lubitschiennes ou presque (mais il faut apprécier son style très franchouillard) et surtout, Charles Boyer est une révélation de comique élégant dans Cluny Brown (là encore avec un certain accent, mais plus distingué). Et puis, pour faire rire Garbo sans accroc, il fallait bien un Lubitsch (Ninotchka) !

« Décorations » 

Au terme de sa revue, le Général Yen honore les trois meilleurs films du réalisateur… (et il précise que le choix n'a pas été sans mal !)

Ordre du Général : The Shop Around the Corner (1940). Le célèbre chef d’œuvre n’a pas pris une ride et possède une saveur toute liée au charme d’une Budapest fantasmée, comme l’Europe d’avant-guerre de manière générale chez le cinéaste allemand.

Croix de Yen, 1ère classe : Cluny Brown (1946). Une excellente surprise, à vrai dire le film qui m’a fait aimer Lubitsch, même s’il se distingue sur de nombreux points des autres grands noms du réalisateur. L’humour est fin, et la naïveté de Jennifer Jones combinée au charisme comique de Boyer font le reste.

Croix de Yen, 2ème classe :  The Love Parade (1929). J’aurais pu citer l’excellent Design for Living (et son ménage à trois ! Quand on parle d’audace…) ou me rabattre vers une comédie musicale plus aboutie comme The Merry Widow, mais j’adore l’aspect très pré-code de celui-ci. Jeanette MacDonald n’a jamais été aussi drôle, elle domine la première partie du film comme une reine, et le tout semble si novateur (1929 !), que j’adhère complètement.


N°1 : William Wyler, roi parmi les cinéastes


Ben-Hur, le mythe des péplums ? C’est lui. Vacances romaines, l’émergence de l’iconique Audrey Hepburn ? C’est lui. Les meilleurs films de la grande Bette Davis ? C’est lui. Ces quelques noms à eux seuls montrent à quel niveau se situe William Wyler dans le panthéon de l’histoire du cinéma. C’est bien simple : je ne compte plus le nombre de ses films que j’ai aimés avant de me dire « tiens, mais c’est un Wyler ! » Et peu à peu, film après film, je n’ai pu que me rendre à l’évidence : si Wyler n’a pas le style le plus fascinant ni le plus identifié, s’il ne possède pas une « patte » comme un Lubitsch, il sait s’entourer de talents et transforme tout ce qu’il entreprend en or.

Le style de Wyler : une atmosphère toujours très finement travaillée, que ce soit dans le genre noir (Wuthering Heights, The Letter), romantique (la belle Rome de Roman Holiday) ou mélodramatique (The Best Years of Our Lives). Tout est mis en œuvre pour créer un film avec sa propre identité (les landes anglaises de Wuthering Heights, le Vieux Sud de Jezebel, la Budapest de The Good Fairy).

« Revue générale » : au-delà de sa maîtrise de l’ambiance de ses films, Wyler reste pour moi celui qui m’a fait apprécier des performances d’actrices comme Bette Davis (le triptyque Jezebel, The Letter, The Little Foxes), Mary Astor (un bon second rôle dans Dodsworth) ou Audrey Hepburn (Roman Holiday), en leur donnant force et féminité, une forme de charme supplémentaire. Il a aussi donné parmi leurs meilleurs rôles à certaines de mes favorites, comme Merle Oberon (Wuthering Heights, These Three) ou Myrna Loy (The Best Years). Idem chez les acteurs, avec Dana Andrews (The Best Years) et Kirk Douglas (le très intéressant huis-clos Detective Story). Je note aussi une prédilection pour le très distingué Herbert Marshall, bien à sa place dans l’humoristique The Good Fairy et excellent face à une diabolique Bette Davis dans The Little Foxes et The Letter.

« Décorations »

Au terme de sa revue, le Général Yen honore les trois meilleurs films du réalisateur…

Ordre du Général : Wuthering Heights (1939). Un chef d’œuvre de réalisation, dans un style gothique et romantique, qui donne un souffle mystérieux et grandiose au roman d’Emily Brontë et sublime les deux anti-héros joués par Laurence Olivier et Merle Oberon.

Croix de Yen, 1ère classe : The Best Years of Our Lives (1946). Le film-modèle des fresques de « retour de guerre », avec un casting au sommet, dirigé de main de maître, et une émotion difficilement égalable.

Croix de Yen, 2ème classe :  The Little Foxes (1941). Le meilleur film de la collaboration avec Bette Davis, un magnifique exemple d’ambiance de « huis-clos à ciel ouvert » dans une petite ville du début du siècle dernier dominée par une famille sans scrupules.